Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/295

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concert-meister, après m’avoir demandé de quelle façon je voulais composer mon orchestre, alla immédiatement s’entendre avec son frère pour aviser aux moyens de réunir la masse d’instruments à cordes que j’avais jugée nécessaire et faire un appel aux amateurs et aux artistes indépendants de la chapelle ducale, et dignes de se réunir à elle. Dès le lendemain, ils m’avaient formé un bel orchestre, un peu plus nombreux que celui de l’Opéra de Paris et composé de musiciens non-seulement très-habiles, mais encore animés d’un zèle et d’une ardeur incomparables. La question de la harpe, de l’ophicléïde et du cor anglais se présenta de nouveau, comme elle s’était présentée à Weimar, à Leipzig, à Dresde. (Je vous parle de tous ces détails pour vous faire une réputation de musicien). L’un des membres de l’orchestre, M. Leibrock, excellent artiste, très-versé dans la littérature musicale, s’était, depuis un an seulement appliqué à l’étude de la harpe et redoutait fort, en conséquence, l’épreuve où l’allait mettre ma deuxième symphonie. Il n’a d’ailleurs qu’une harpe ancienne, dont les pédales à mouvement simple ne permettent pas l’exécution de tout ce qu’on écrit aujourd’hui pour cet instrument. Heureusement la partie de harpe d’Harold est d’une extrême facilité, et M. Leibrock travailla tellement pendant cinq à six jours, qu’il en vint à son honneur..... à la répétition générale. Mais le soir du concert, saisi d’une terreur panique au moment important, il s’arrêta court dans l’introduction et laissa jouer seul Charles Müller qui exécutait la partie d’alto principal.

Ce fut le seul accident que nous eûmes à regretter, accident dont au reste le public ne s’aperçut point, et que M. Leibrock se reprochait encore amèrement plusieurs jours après, malgré mes efforts pour le lui faire oublier. Quant à l’ophicléïde, il n’y en avait d’aucune espèce dans Brunswick ; on me présenta successivement pour le remplacer, un bass-tuba (magnifique instrument grave dont j’aurai à parler au sujet des bandes militaires de Berlin) ; mais le jeune homme qui le jouait ne me paraissait pas en posséder très-bien le mécanisme, il en ignorait même la véritable étendue ; puis un basson russe, que l’exécutant appelait un contre-basson. J’eus beaucoup de peine à le désabuser sur la nature et le nom de son instrument, dont le son sort tel qu’il est écrit et qui se joue avec une embouchure comme l’ophicléïde ; tandis que le contre-basson, instrument transpositeur à anche, n’est autre qu’un grand basson qui reproduit presque en entier la gamme du basson à l’octave inférieure. Quoi qu’il en soit, le basson russe fut adopté pour tenir lieu tant bien que mal de l’ophicléïde. Il n’y avait pas de cor anglais, on arrangea ses solos pour un hautbois, et nous commençâmes les répétitions d’orchestre pendant que le chœur étudiait dans une autre salle. Je dois dire ici que jamais jusqu’à ce jour, en France, en Belgique, ni en Allemagne, je n’ai vu une collection d’artistes éminents à ce point dévoués, attentifs et passionnés pour la tâche qu’ils avaient entreprise. Après la