Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/297

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connaissez rien de pareil, vous autres, poëtes, vous n’êtes jamais emportés par de tels ouragans de vie ! J’aurais voulu embrasser toute la chapelle à la fois, et je ne pouvais que m’écrier, en français il est vrai, mais l’accent devait me faire comprendre : «Sublimes ! je vous remercie, messieurs, et je vous admire ! Vous êtes des brigands parfaits !»

Les mêmes qualités violentes se firent remarquer dans l’exécution de l’ouverture de Benvenuto et pourtant, dans le style opposé, l’introduction d’Harold, la Marche des pèlerins et la Sérénade ne furent jamais rendues avec plus de grandeur calme et de religieuse sérénité. Pour le morceau de Roméo (la Fête chez Capulet) il rentre un peu par son caractère dans le genre tourbillonnant ; il fut donc aussi, selon notre expression parisienne, véritablement enlevé.

Il fallait voir dans les haltes des répétitions, l’aspect enflammé de tous ces visages... L’un des musiciens, Schmidt (la foudroyante contre-basse), s’était arraché la peau de l’index de la main droite au commencement du passage pizzicato de l’orgie ; mais sans songer à s’arrêter pour si peu et malgré le sang qu’il répandait, il avait continué en se contentant de changer de doigt. C’est ce qui s’appelle en termes militaires ne pas bouder au feu.

Pendant que nous nous livrions à ces délassements, le chœur, de son côté, étudiait à grand’peine aussi, mais avec des résultats différents, les fragments de mon Requiem. L’Offertoire et le Quærens me avaient fini par marcher ; pour le Sanctus, dont le solo devait être chanté par Schmetzer, le premier ténor du théâtre, excellent musicien, il y avait un obstacle insurmontable. L’andante de ce morceau, écrit à trois voix de femmes, présente quelques modulations en harmoniques que les choristes de Dresde avaient fort bien comprises, mais qui dépassent, à ce qu’il paraît, l’intelligence musicale de celles de Brunswick. En conséquence, après avoir inutilement essayé pendant trois jours d’en saisir le sens et les intonations, ces pauvres désespérées m’envoyèrent une députation pour me conjurer de ne pas les exposer à un affront en public et obtenir que le terrible Sanctus fût rayé de l’affiche. Je dus y consentir, mais avec regret, surtout à cause de Schmetzer, dont le ténor très-haut convient parfaitement à cet hymne séraphique, et qui se faisait en outre un plaisir de le chanter.

Maintenant tout est prêt, et malgré les terreurs de Ch. Müller au sujet du scherzo, qu’il voudrait répéter encore, nous allons au concert étudier les impressions qui vont naître de cette musique. Il faut vous dire auparavant que, d’après le conseil du maître de chapelle, j’avais invité aux répétitions une vingtaine de personnes formant la tête de colonne des amateurs de Brunswick. Or, c’était chaque jour une réclame vivante qui, en se répandant par la ville excitait au plus haut degré la curiosité du public ; de là l’intérêt singulier que les gens du peuple même prenaient aux préparatifs du concert et les questions qu’ils adressaient aux exécutants et aux auditeurs privilégiés : — «Que s’est-il