Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/299

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fanfares... le bâton me tomba des mains, je ne savais plus où j’en étais.

Riez donc un peu, voyons, ne vous gênez pas. Cela vous fera du bien et ne peut me faire de mal ; d’ailleurs je n’ai pas encore fini, et il vous en coûterait trop d’entendre, sans m’égratigner, mon dithyrambe jusqu’au bout... Allons, vous n’êtes pas trop méchant aujourd’hui ; je continue.

À peine sorti du théâtre suant et fumant, comme si je venais d’être trempé dans le Styx, étourdi et ravi, ne sachant auquel entendre au milieu de tous ces féliciteurs, on m’avertit qu’un souper de cent cinquante couverts, commandé à mon hôtel, m’était offert par une société d’amateurs et d’artistes. Il fallait bien s’y rendre. Nouveaux applaudissements, nouvelles acclamations à mon arrivée ; les toasts, les discours français et allemands se succèdent ; je réplique de mon mieux à ceux que je comprends, et, à chaque santé portée, cent cinquante voix répondent par un hourra en chœur du plus bel effet. Les basses les premières commencent sur la note ré, les ténors entrent sur le la, et les dames, entonnant ensuite le fa dièse, établissent l’accord de ré majeur, bientôt après suivi des quatre accords de sous-dominante, tonique, dominante et tonique, dont l’enchaînement forme ainsi cadence plagale et cadence parfaite successivement. Cette salve d’harmonie, dans son mouvement large, éclate avec pompe et majesté ; c’est très-beau : ceci au moins est vraiment digne d’un peuple musical.

Que vous dirai-je, mon cher Heine ? Dussiez-vous me trouver naïf et primitif au superlatif, je dois avouer que toutes ces manifestations bienveillantes, toutes ces rumeurs sympathiques me rendaient extrêmement heureux. Ce bonheur-là sans doute n’approche pas, pour le compositeur, de celui de diriger un magnifique orchestre exécutant avec inspiration une de ses œuvres chéries ; mais l’un va bien avec l’autre, et après un tel concert, une veillée pareille ne gâte rien. Je suis très-redevable, vous le voyez, aux artistes et aux amateurs de Brunswick ; je dois beaucoup aussi à son premier critique musical M. Robert Griepenkerl, qui, dans une brochure savante écrite à mon sujet, a engagé une véhémente polémique avec une gazette de Leipzig et donné une idée juste, je crois, de la force et de la direction du courant musical qui m’entraîne.

Donnez-moi donc la main, et chantons un grand hourra pour Brunswick sur ses accords favoris :

Moderato notation musicale