Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/327

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Berlin, sur cet endroit de la partition, je pensai tout de suite aux trombones rétifs de Paris :

« — Ah, voyons, me dis-je, si les artistes prussiens parviendront à enfoncer cette porte ouverte !»

Hélas non ! vains efforts ! rage ni patience, rien n’y fait ! impossible d’obtenir l’entrée du second ni du troisième groupe ; le quatrième même, n’entendant pas sa réplique qui devait être donnée par les autres, ne part pas non plus. Je les prends isolément, je demande au nº 2 de donner le si.

Il le fait très-bien :

M’adressant au nº 3, je lui demande son ré.

Il me l’accorde sans difficulté ;

Voyons maintenant les quatre notes les unes après les autres, dans l’ordre où elles sont écrites !... Impossible ! tout à fait impossible ! et il faut y renoncer !... Comprenez-vous cela ? et n’y a-t-il pas de quoi aller donner de la tête contre un mur ?...

Et quand j’ai demandé aux trombonistes de Paris et de Berlin pourquoi ils ne jouaient pas dans la fatale mesure, ils n’ont su que me répondre, ils n’en savaient rien eux-mêmes ; ces deux notes les fascinaient[1].

Il faut que j’écrive à H. Romberg qui a monté cet ouvrage à Saint-Pétersbourg pour savoir si les trombones russes ont pu rompre le charme.

Pour tout le reste du programme, l’orchestre a supérieurement compris et rendu mes intentions. Bientôt nous avons pu en venir à une répétition générale dans la salle de l’Opéra, sur le théâtre disposé en gradins comme pour le concert. Symphonie, ouverture, cantate, tout a marché à souhait ; mais quand est venu le tour des morceaux du Requiem, panique générale, les chœurs que je n’avais pas pu faire répéter moi-même, avaient été exercés dans des mouvements différents des miens, et quand ils se sont vus tout d’un coup mêlés à l’orchestre avec les mouvements véritables, ils n’ont plus su ce qu’ils faisaient ; on attaquait à faux, ou sans assurance : et dans le Lacrymosa les ténors ne chantaient plus du tout. Je ne savais à quel saint me vouer. Meyerbeer, très-souffrant ce jour-là, n’avait pu quitter son lit ; le directeur des chœurs, Elssler, était malade aussi ; l’orchestre se démoralisait en voyant la débâcle vocale...

Un instant je me suis assis, brisé anéanti, et me demandant si je devais tout planter là et quitter Berlin le soir même. Et j’ai pensé à vous dans ce mauvais moment, en me disant :

« — Persister, c’est folie ! Oh ! si Desmarest était ici, lui qui n’est jamais content de nos répétitions du Conservatoire, et s’il me voyait décidé à laisser

  1. Aux deux dernières exécutions du Requiem dans l’église de Saint-Eustache à Paris, ce passage a pourtant enfin été rendu sans faute.