Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/334

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comptent toujours, à côté des colosses du génie humain des neveux qui écrivent aussi, etc.

On trouve dans les archives d’un des théâtres de Londres une lettre adressée à la reine Élisabeth par une troupe d’acteurs, et signée de vingt noms obscurs, parmi lesquels se trouve celui de William Shakespeare, avec cette désignation collective : Your poor players. Shakespeare était l’un de ces pauvres acteurs... Encore l’art dramatique était-il, au temps de Shakespeare, plus appréciable par la masse que ne l’est de nos jours l’art musical chez les nations qui ont le plus de prétention à en posséder le sentiment. La musique est essentiellement aristocratique ; c’est une fille de race que les princes seuls peuvent doter aujourd’hui, et qui doit savoir vivre pauvre et vierge plutôt que de se mésallier. Toutes ces réflexions vous les avez faites mille fois, sans doute, et vous me saurez bon gré, j’imagine, d’y mettre un terme, pour en venir au récit des deux derniers concerts que j’ai donnés en Allemagne après avoir quitté Berlin.

Ce récit ne vous offrira pourtant, je le crains, rien de bien intéressant quant à ce qui me concerne ; je serai obligé de citer encore des ouvrages dont j’ai peut-être déjà trop parlé dans mes lettres précédentes ; toujours l’éternel Cinq mai, Harold, les fragments de Roméo et Juliette, etc. Toujours les mêmes difficultés pour trouver certains instrumentistes, même excellence des autres parties de l’orchestre, constituant ce que j’appellerai l’orchestre ancien, l’orchestre de Mozart ; et toujours aussi les mêmes fautes se reproduisant invariablement, à la première épreuve, aux mêmes endroits, dans les mêmes morceaux, pour disparaître enfin après quelques études attentives.

Je ne me suis pas arrêté à Magdebourg, où m’attendait cependant un succès assez original. J’y ai été à peu près insulté pour avoir eu l’audace de m’appeler par mon nom ; et cela par un employé de la poste qui, en faisant enregistrer mes bagages, et examinant l’inscription qu’ils portaient, me demanda d’un air soupçonneux :

— «Berlioz ? componist ?

— Ia !»

Là-dessus, grande colère de ce brave homme, causée par l’impertinence que j’avais de me faire passer pour Berlioz le compositeur. Il s’était imaginé, sans doute, que cet étourdissant musicien ne devait voyager que sur un hippogriffe au milieu d’un tourbillon de flammes, ou tout au moins environné d’un somptueux attirail et d’une valetaille respectable. De sorte qu’en voyant arriver un homme fait et défait comme tous les gens qui ont été à la fois gelés et enfumés dans les diligences d’un chemin de fer, un homme qui faisait peser sa malle lui-même, qui marchait lui-même, qui parlait lui-même français, et ne savait dire que ia