Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/349

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d’émeutes et de complots, ne voulut ni festin, ni bal, ni musique, et interdit purement et simplement le festival.

Cette prudence me parut exaltée jusqu’à l’absurde. J’en parlai à M. Bertin, il fut du même avis et sut le faire partager à M. Duchâtel, ministre de l’intérieur. Ce dernier envoya aussitôt au préfet l’ordre de nous laisser faire au moins de la musique, et M. Delessert se vit contraint d’autoriser un grand concert sérieux pour le premier jour, et un concert dit populaire sous la direction de Strauss pour le second ; concert-promenade dans lequel on exécuterait de la musique de danse, valses, polkas et galops, mais où l’on ne danserait point.

C’était nous ôter le bénéfice certain de l’entreprise. M. Delessert redoutait pourtant encore le danger que nos orchestres, nos chœurs et les amateurs qui pour les entendre, allaient se porter au centre des Champs-Élysées, en plein jour, pouvaient faire courir à l’État. Savait-on même si Strauss et moi nous n’étions pas des conspirateurs déguisés en musiciens !... Néanmoins je me tenais pour satisfait de pouvoir organiser et diriger un concert gigantesque, et je bornais mes vœux à réussir musicalement dans l’entreprise, sans y perdre tout ce que je possédais.

Mon plan fut bientôt tracé. Laissant Strauss s’occuper de son orchestre de danse destiné à ne pas faire danser, j’engageai pour le grand concert à peu près tout ce qui, dans Paris, avait quelque valeur comme choriste et instrumentiste, et je parvins à réunir un personnel de mille vingt-deux exécutants. Tous étaient payés, à l’exception des chanteurs (non choristes) de nos théâtres lyriques. J’avais fait un appel à ceux-ci dans une lettre où je les priais de se joindre à mes niasses chantantes pour les guider de l’âme et de la voix.

Duprez, madame Stolz et Chollet furent les seuls qui s’y refusèrent ; mais leur absence fut remarquée le jour du concert et hautement blâmée par la presse le lendemain. Presque tous les membres des concerts du Conservatoire crurent également devoir s’abstenir, et bouder encore une fois avec leur vieux général. Habeneck, tout naturellement, voyait du plus mauvais œil cette grande solennité qu’il ne dirigeait pas...

Pour ne pas être forcé d’élever les frais jusqu’à une somme exorbitante, je ne demandai aux artistes que deux répétitions, dont l’une devait être partielle et l’autre générale. Je fis ainsi répéter d’abord successivement, dans la salle de Herz que nous avions louée pour cela :

  • Les violons,
  • Les altos et violoncelles,
  • Les contre-basses,
  • Les instruments à vent en bois,
  • Les instruments à vent en cuivre,