Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/363

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pas impérieusement un concours inusité de voix et d’instruments ; et quand ce concours a lieu, ces œuvres n’en reçoivent qu’une accentuation plus forte et ne produisent rien d’extraordinaire ni d’inattendu. Néanmoins, j’avoue que ce concert m’émut profondément, par l’effet des chœurs surtout. La beauté des voix de soprano me parut incomparable, et l’ensemble général excellent. En voyant sur le programme l’ouverture de la Flûte enchantée de Mozart, je craignis que ce merveilleux morceau, d’un mouvement si rapide, d’une trame si serrée et si délicatement ouvragée, ne pût être bien rendu par un orchestre aussi vaste ; mais mon inquiétude fut de courte durée, et l’orchestre (un orchestre d’amateurs) l’exécuta avec une précision et une verve qu’on ne trouve pas souvent même parmi les artistes.

Un motet de Mozart, un autre de Haydn, un air de la Création, l’ouverture que je viens de citer, et l’oratorio du Christ au mont des Oliviers, de Beethoven, formaient le programme. Staudigl et madame Barthe-Hasselt chantaient les soli. Staudigl a une basse veloutée, onctueuse, suave et puissante à la fois, d’une étendue de deux octaves et deux notes (du mi grave au sol haut), qu’il ne pousse jamais, mais qu’il laisse sortir, s’exhaler et se répandre sans le moindre effort, et qui remplit même une salle démesurée comme celle du Manége. Cette voix a en soi un principe d’émotion très-actif, bien que l’artiste soit en général peu ému lui-même ; elle vous pénètre et vous charme. Staudigl, d’ailleurs, tout enchantant avec cette simplicité de bon goût qui est le propre des virtuoses parfaitement maîtres du style large, exécute aisément les vocalisations et les traits d’une certaine rapidité. Enfin il sait la musique à fond et lit à première vue tout ce qu’on lui présente avec un aplomb si imperturbable, que cette facilité excessive amène quelquefois même des résultats fâcheux. Staudigl met un peu d’amour-propre à en faire parade, et ne jette, en conséquence, jamais un regard sur un morceau qu’il n’est pas tenu de chanter par cœur, avant de se présenter devant l’orchestre. Quand donc une répétition générale est annoncée, il arrive, prend son cahier qu’il n’a pas encore vu, et chante couramment paroles et musique sans se tromper d’un mot ni d’une intonation. Il lit cela comme un livre qu’on lui mettrait pour la première fois entre les mains, mais il ne le lit pas mieux, et c’est ce mieux qui est indispensable dans une répétition générale, où il s’agit non-seulement d’une exactitude littérale, mais aussi d’une reproduction intelligente, vive, animée, de l’œuvre du compositeur. Or, comment mettre ce feu, cette âme, cette vie dans une lecture pareille, où rien n’a été préparé par l’exécutant, où l’esprit général, les nuances et même les mouvements de la composition lui sont encore inconnus ? Cette légère critique, non pas du talent, mais des habitudes de ce grand artiste, a été faite à Vienne devant moi, par des compositeurs qu’elle avait maintes fois inquiétés dans des circonstances importantes. Louis XVIII disait : «Il ne faut