Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/374

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qu’ils ne font pas. Actif, persévérant, volontaire et généreux au delà de toute expression, le docteur Bacher est à Vienne le plus ferme soutien de la musique et la providence des musiciens.

C’est dans la salle du Conservatoire, petite, mais excellente, qu’ont lieu les concerts philharmoniques, sous l’habile direction de M. le baron de Lannoye, et les réunions de l’académie de chant d’hommes, précieuse institution dirigée par M. Barthe avec autant d’intelligence que de zèle. J’ai entendu là, cinq ou six fois au moins, et avec un plaisir toujours nouveau, l’étonnant pianiste Dreyschock ; talent jeune, frais, brillant, énergique, d’une habileté technique immense, dont le sentiment musical est des plus élevés, et qui a introduit dans sa musique de piano une foule de combinaisons nouvelles d’un effet charmant.

Je demande pardon à tant d’artistes remarquables du laconisme avec lequel je me vois contraint de parler d’eux. L’espace me manque ; il faudrait écrire un livre pour rendre pleine justice à chacun et énumérer en détail toutes les richesses musicales de Vienne.

Et pourtant je n’ai rien dit encore de quelques-uns de ses plus éminents esprits : de ceux que la nature de leur talent porte surtout vers les compositions dites di camera, telles que les quatuors et les lieder avec piano. De ce nombre sont M. Becher, âme rêveuse et concentrée, dont l’audace harmonique dépasse tout ce qu’on a tenté jusqu’à présent, qui cherche à agrandir la forme du quatuor et à lui donner des allures nouvelles. M. Becher est d’ailleurs un écrivain fort distingué, et sa critique est en grande estime parmi les maîtres de la presse viennoise[1].

M. le conseiller Wesque de Putlingen, qui publie ses œuvres sous le pseudonyme de Hoven, m’a fait passer de bien douces heures en chantant ses lieder d’un tour mélodique si heureux et si plein d’humour, et accompagnés d’harmonies si piquantes. J’ai remarqué les mêmes qualités dans les fragments de deux opéras de sa composition que je n’ai pu malheureusement entendre qu’au piano.

M. Dessauer nous est plus connu, à cause du séjour qu’il fit à Paris pendant deux ans, de 1840 à 1842, je crois. Il y mit en musique une foule de morceaux de nos premiers poëtes. Il continue à grossir sa collection de lieder, dont la plupart obtiennent dans les salons délicats un incontestable succès. Dessauer est tout entier acquis à l’élégie ; il n’est à son aise que dans les malaises de l’âme ; les souffrances du cœur sont sa plus douce jouissance, et les larmes toute sa joie. Dessauer, à Vienne comme à Paris, me faisait toujours une guerre courtoise.

  1. Malheureux Becher ! j’apprends qu’il s’est follement jeté dans la fournaise de la dernière insurrection de Vienne, qu’il a été pris, jugé, condamné et fusillé !...