Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/392

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de se soumettre ! ! ! Je ne parle pas de son amour pour les chevaux, une passion aussi profonde est trop respectable.

Tout ceci n’a point trait à l’ancien directeur du théâtre de Prague, j’ai peut-être eu tort de ne pas le dire plus tôt. C’était un honnête homme, peu versé, comme tous ses confrères, dans les choses musicales, mais contre l’ordinaire, aimé et estimé de ses administrés, qui lui exprimèrent très-vivement leurs regrets, lorsque, par suite du mauvais état de ses affaires, il se vit contraint de remettre la direction en d’autres mains. Il faut compter aussi M. Pockorny, directeur du théâtre An-der-Wien à Vienne, parmi les plus honorables exceptions. Les directeurs entrepreneurs, tels que ceux-ci, exploitant pour leur compte et à leurs risques et périls, sont peu nombreux en Allemagne. Je n’en connais guère que cinq ou six : ce sont ceux de Leipzig, de Prague, de Vienne, celui du théâtre allemand de Pesth, et celui de Hambourg. Les autres théâtres lyriques sont presque tous sous la direction d’intendants titrés, administrant pour le compte de leur souverain. En général, quelle que soit la nuance de froideur aristocratique avec laquelle plusieurs d’entre eux traitent leurs subordonnés, il faut convenir que les artistes préfèrent de beaucoup ces directeurs, comtes ou barons, aux industriels qui les exploitent. Les premiers ont souvent au moins des manières d’une politesse exquise, dont les seconds se piquent peu ; ils possèdent en outre les avantages d’une éducation littéraire et quelquefois, musicale, encore plus rares chez les directeurs entrepreneurs. M. le comte de Rœdern, qui eut longtemps entre les mains les destinées de l’Opéra de Berlin, en est un exemple. Toutefois, bien qu’on puisse rencontrer en Allemagne parmi les directeurs, intendants ou entrepreneurs, des hommes peu intelligents ou d’une ignorance extrême des choses de l’art, je ne crois pas qu’il s’en soit jamais trouvé de comparables, sous ce rapport, à quelques-uns de ceux qu’a produits la France depuis trente ans. Noble ou roturier, aucun directeur allemand, je le parlerais, n’a ignoré les noms de Gluck ou de Mozart, ni ceux de leurs chefs-d’œuvre. En France, au contraire, on pourrait citer, en ce genre, bon nombre d’énormités plus ou moins incroyables. Par exemple, un directeur de l’Opéra[1] recevant une visite de Cherubini, lui demanda assez cavalièrement, quoique l’illustre compositeur eût décliné son nom, quelle était sa profession, s’il faisait partie du personnel de l’Opéra, et s’il était attaché au service des ballets ou des machines. À peu près vers la même époque, le même Cherubini, qui venait de faire exécuter avec éclat une nouvelle messe, se trouvant un soir chez le surintendant des Beaux-Arts[2], reçut de lui cet étrange compliment : «Votre messe est fort belle, mon cher Cherubini, son succès est incontestable ; mais pourquoi vous être

  1. M. Duplantys.
  2. M. le vicomte Sosthène de Larochefoucault.