Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/396

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ensuite ; et si l’on tient compte de la différence immense qui existe naturellement entre les ressources d’une ville comme Prague et celles de la capitale de la France, c’est faire de lui un bel éloge que de le placer au second rang. Il est donc moins riche que le nôtre sous tous les rapports ; les professeurs et les élèves y sont moins nombreux, et les efforts que l’autorité fait à Prague pour le soutenir ne sont pas comparables à l’appui constant et énergique prêté au Conservatoire de Paris par la direction des beaux-arts ; mais les études y sont bien faites, et l’esprit de l’école est excellent. Parmi les professeurs qui enseignent sous la direction de M. Kittl, je citerai surtout MM. Milner et Gordigiani. Le premier, violoniste habile, qui remplit aussi, je l’ai déjà dit, les fonctions de concert-meister et de violon solo au théâtre de Prague, a produit un nombre considérable de bons élèves. Le second, qui possède depuis longtemps la réputation d’un des meilleurs maîtres de chant envoyés à l’Allemagne par l’Italie, est en outre un compositeur de mérite. Je connais de lui un Stabat à deux chœurs d’un très-beau style, et un opéra, Consuelo, dont il a écrit les paroles et la musique, remarquable par le naturel des mélodies, et une sobriété élégante d’orchestration, dont on trouve bien peu d’exemples aujourd’hui. On a dit quelquefois, avec raison, je crois, qu’il était utile au compositeur de savoir chanter ; il est peut-être plus nécessaire encore à un maître de chant de savoir composer. C’est en effet dans l’appréciation exacte des qualités que le compositeur peut et doit exiger de ses interprètes, que le maître de chant trouvera son plus solide point d’appui pour bien diriger les études de ses élèves. Un maître de chant compositeur, à moins qu’il ne soit d’une détestable médiocrité, ne donnera pas dans les travers qui menacent aujourd’hui, dans les trois quarts de l’Europe musicale, de détruire radicalement l’art du chant. Il n’enseignera pas à ses élèves le mépris du rhythme et de la mesure ; il ne leur laissera jamais prendre l’insolente liberté de broder à tort et à travers les mélodies dont la reproduction exacte est impérieusement exigée par l’expression de la phrase, par le caractère du personnage et par le style de l’auteur ; il ne permettra pas qu’ils s’habituent à considérer l’intérêt privé de leur organe vocal comme le seul qui doive les guider lorsqu’ils chantent en public ; ses élèves, par conséquent, ne dénatureront pas les plus belles œuvres pour éviter quelques notes sourdes de leur voix, ou pour faire un étalage aussi long et aussi ridicule que possible des sons plus avantageux que la nature leur a donnés. Ce maître ne manquera pas de raisonner l’art du chant avec ses élèves, et de les bien convaincre que ce n’est point celui d’exécuter, avec plus ou moins de bonheur, des tours de force dénués de raison et d’intérêt musical, et moins encore celui de faire sortir d’un larynx humain des sons étranges par leur gravité, leur acuité, leur violence ou leur durée. Il leur demandera compte de chacun de leurs accents, en leur démontrant que s’il est choquant de chanter faux relativement