Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/405

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Tenons-nous en garde contre de tels fanatiques, ils suffiraient à chasser de toutes les âmes saintes le respect et l’admiration dus aux monuments du passé.

L’Académie de chant de Prague, je le répète, n’a rien de commun avec eux ; et son chef est un artiste intelligent. Aussi admet-il dans le sanctuaire harmonique, non-seulement les modernes, mais même les vivants. À côté d’un oratorio de Bach ou de Hændel il met à l’étude le Moïse de M. Marx, le savant critique et théoricien bien vivant à Berlin, ou un fragment d’opéra ou un hymne qui n’ont par leur âge aucun titre aux égards académiques. J’ai même remarqué, la première fois que j’assistai à une séance de la Société chantante de Prague, une fantaisie chorale composée par M. Scraub sur des airs nationaux bohêmes, qui me charma par son originalité. Je n’avais point encore, et je n’ai pas davantage depuis lors, entendu d’aussi piquantes combinaisons vocales exécutées avec autant d’audacieuse verve, d’entrain, de contrastes imprévus, d’ensemble, de justesse et de belle sonorité. En songeant aux épaisses et lourdes compilations d’accords que j’avais subies trop souvent en des occasions semblables, cette œuvre vive ainsi exécutée produisit sur mon oreille l’effet que l’air frais et embaumé d’une forêt, par une belle nuit d’été, produirait sur les poumons d’un prisonnier récemment échappé de son cachot et de sa fétide atmosphère.

L’Académie de Sophie (j’ai déjà dit que tel était son titre) donne, chaque année, un certain nombre de séances publiques dirigées par les deux Scraub ; l’orchestre du théâtre conduit par l’aîné, venant alors en aide aux choristes de son frère. Ces grandes exécutions, préparées de longue main avec un soin et une patience exemplaires, attirent toujours un nombreux auditoire ; auditoire d’élite pour lequel la musique n’est ni un divertissement, ni une fatigue, mais bien une passion noble et sérieuse à laquelle il livre toutes les forces de son intelligence, toute sa sensibilité, tous les élans de son cœur.

Je me suis engagé à vous parler de la maîtrise, c’est-à-dire du service musical de la cathédrale, ainsi que des bandes militaires de Prague ; mais si je les ai fait entrer dans ma nomenclature, c’est tout simplement, il faut vous l’avouer, pour la rendre plus complète. La musique religieuse ! la musique militaire ! ces mots-là figurent on ne peut mieux dans un compte rendu d’observations musicales tel que celui-ci. Je n’ai jamais eu l’intention de tenir ma promesse sur ces deux sources de richesse harmonique des Bohêmes, par une bonne raison, c’est que je ne sais rien de ce qu’il faudrait savoir pour en parler convenablement. Je n’ai pas encore pu prendre sur moi d’aligner des mots sur les choses que je ne connais point. Cela viendra peut-être avec le temps et les bons exemples. En attendant vous me pardonnerez si je me tais. Malgré les invitations réitérées de M. Scraub, je n’ai pas mis le pied dans une église pendant tout le temps de mon séjour à Prague. Je suis pourtant très-pieux, on le sait ; il faut donc qu’il y ait eu quelque raison grave dont je ne me souviens pas, à