Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/412

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et le ballet des Sylphes. J’ai dit à quelle occasion et comment je fis en une nuit, à Vienne également, la marche sur le thème hongrois de Rákóczy. L’effet extraordinaire qu’elle produisit à Pesth, m’engagea à l’introduire dans ma partition de Faust, en prenant la liberté de placer mon héros en Hongrie au début de l’action, et en le faisant assister au passage d’une armée hongroise à travers la plaine où il promène ses rêveries. Un critique allemand a trouvé fort étrange que j’aie fait voyager Faust en pareil lieu. Je ne vois pas pourquoi je m’en serais abstenu, et je n’eusse pas hésité le moins du monde à le conduire partout ailleurs s’il en fût résulté quelque avantage pour ma partition. Je ne m’étais pas astreint à suivre le plan de Gœthe, et les voyages les plus excentriques peuvent être attribués à un personnage tel que Faust, sans que la vraisemblance en soit en rien choquée. D’autres critiques allemands ayant plus tard repris cette singulière thèse et m’attaquant avec plus de violence au sujet des modifications apportées dans mon livret au texte et au plan du Faust de Gœthe, (comme s’il n’y avait pas d’autres Faust que celui de Gœthe[1] et comme si on pouvait d’ailleurs mettre en musique un tel poëme tout entier, et sans en déranger l’ordonnance) j’eus la bêtise de leur répondre dans l’avant-propos de la Damnation de Faust. Je me suis souvent demandé pourquoi ces même critiques ne m’ont adressé aucun reproche pour le livret de ma symphonie de Roméo et Juliette, peu semblable à l’immortelle tragédie ! C’est sans doute parce que Shakespeare n’est pas Allemand. Patriotisme ! Fétichisme ! Crétinisme !

À Pesth, à la lueur du bec de gaz d’une boutique, un soir que je m’étais égaré dans la ville, j’ai écrit le refrain en chœur de la Ronde des paysans.

À Prague, je me levai au milieu de la nuit pour écrire un chant que je tremblais d’oublier, le chœur d’anges de l’apothéose de Marguerite :

«Remonte au ciel, âme naïve Que l’amour égara.»

À Breslau, j’ai fait les paroles et la musique de la chanson latine des étudiants :

«Jam nox stellata velamina pandit.»

De retour en France, étant allé passer quelques jours près de Rouen à la campagne de M. le baron de Montville, j’y composai le grand trio :

«Ange adoré dont la céleste image.»

  1. Celui de Marlow par exemple, et l’opéra de Spohr, qui ni l’un ni l’autre, ne ressemblent au Faust de Gœthe.