Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/419

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les emporter à l’hôtel avec moi. Ce fut, je l’avoue, une agréable surprise.

Je n’étais pas installé depuis une heure dans une chambre chaude, quand un très-aimable et savant amateur de musique, M. de Lenz (voyez dans les Soirées de l’orchestre l’analyse que j’ai faite de son livre sur Beethoven), qui m’avait, quelques années auparavant, rencontré à Paris, vint me souhaiter la bienvenue.

— «Je sors de chez le comte Michel Wielhorski, me dit-il, où nous avons appris tout à l’heure votre arrivée. Il y a une grande soirée chez lui, toutes les autorités musicales de Saint-Pétersbourg s’y trouvent réunies, et le comte m’envoie vous dire qu’il sera charmé de vous recevoir.

— Mais comment peut-on savoir déjà que je suis ici ?

— Enfin... on le sait... Venez, venez.»

Je pris seulement le temps de me dégeler la figure, de me raser et de m’habiller, et je suivis mon obligeant introducteur chez le comte Wielhorski.

Je devrais dire les comtes, car ils sont deux frères, aussi intelligents et aussi chaleureux amis de la musique l’un que l’autre et qui habitent ensemble. Leur maison est à Saint-Pétersbourg un petit ministère des beaux-arts, grâce à l’autorité que donne aux comtes Wielhorski leur goût si justement célèbre, à l’influence qu’ils exercent par leur grande fortune et leurs nombreuses relations, grâce enfin à la position officielle qu’ils occupent à la cour auprès de l’Empereur et de l’Impératrice.

Leur accueil fut d’une charmante cordialité ; je fus en quelques heures présenté par eux aux principaux personnages, aux virtuoses, aux gens de lettres qui se trouvaient dans leur salon. Je fis là tout de suite connaissance avec cet excellent Henri Romberg, alors chargé des fonctions de chef d’orchestre au théâtre italien, et qui, avec une obligeance incomparable, s’établit dès ce moment mon guide musical à Saint-Pétersbourg et le régisseur du personnel de mes exécutants. Le jour de mon premier concert ayant été fixé ce soir même, par le général Guédéonoff, intendant des théâtres impériaux, la salle de l’assemblée des nobles étant choisie, le prix des places débattu et fixé à trois roubles d’argent (12 francs), je me trouvai ainsi, quatre heures à peine après mon arrivée, in medias res. Romberg vint me prendre le lendemain, et je commençai à courir la ville avec lui, à visiter et à engager les artistes principaux dont le concours m’était nécessaire. Mon orchestre fut bientôt formé. Avec l’aide du général Lwoff, aide de camp de l’Empereur, directeur de la chapelle impériale, compositeur et virtuose du plus rare mérite, qui m’a donné tout d’abord des preuves de la plus franche confraternité musicale, nous vînmes aussi promptement à bout de réunir un chœur considérable et bien composé. Il ne me manquait plus que deux chanteurs solistes, une basse, et un ténor, pour les deux premières parties de Faust, que j’avais placées dans le programme. Versing, basse