Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/472

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Une foule de gens ont dû me regarder comme un fou, puisque je les regarde comme des enfants ou des niais. Toute musique qui s’écarte du petit sentier où trottinent les faiseurs d’opéras-comiques fut nécessairement, pendant un quart de siècle, de la musique de fou pour ces gens-là. Le chef-d’œuvre de Beethoven (la neuvième symphonie) et ses colossales sonates de piano, sont encore pour eux de la musique de fou.

Ensuite j’ai eu contre moi les professeurs du Conservatoire ameutés par Cherubini et par Fétis, dont mon hétérodoxie en matière de théories harmoniques et rhythmiques avait violemment froissé l’amour-propre et révolté la foi. Je suis un incrédule en musique, ou, pour mieux dire, je suis de la religion de Beethoven, de Weber, de Gluck, de Spontini, qui croient, professent et prouvent par leurs œuvres que tout est bon ou que tout est mauvais ; l’effet produit par certaines combinaisons devant seul les faire condamner ou absoudre.

Maintenant les professeurs même les plus obstinés à soutenir l’autorité des vieilles règles s’en affranchissent plus ou moins dans leurs œuvres.

Il faut compter encore parmi mes adversaires les partisans de l’école sensualiste italienne, dont j’ai souvent attaqué les doctrines et blasphémé les dieux.

Aujourd’hui je suis plus prudent. J’abhorre toujours, comme je les abhorrais autrefois, ces opéras proclamés par la foule des chefs-d’œuvre de musique dramatique, mais qui sont pour moi d’infâmes caricatures du sentiment et de la passion ; seulement j’ai la force de n’en plus parler.

Toutefois ma position de critique continue à me faire de nombreux ennemis. Et les plus ardents dans leur haine sont moins encore ceux dont j’ai blâmé les œuvres, que ceux dont je n’ai pas parlé ou que j’ai mal loués. D’autres ne me pardonneront jamais certaines plaisanteries. J’eus l’imprudence, il y a dix-huit ou vingt ans, de faire la suivante à propos d’un très-plat petit ouvrage de Rossini. Ce sont trois cantiques intitulés : la Foi, l’Espérance et la Charité. Après les avoir entendus, j’écrivis je ne sais où, en parlant de l’auteur : Son Espérance a déçu la nôtre, sa Foi ne transportera pas des montagnes, et quant à la Charité qu’il nous a faite elle ne le ruinera pas.

Vous jugez de la fureur des rossinistes ; bien que j’eusse écrit ailleurs une longue analyse admirative de Guillaume Tell, et répété à satiété que le Barbier est un des chefs-d’œuvre du siècle.

M. Panseron m’ayant envoyé un prospectus ridicule où il annonçait, en français de portière, l’ouverture d’un cabinet de consultations musicales, où les amateurs auteurs de romances pouvaient aller faire corriger leurs productions pour la somme de cent francs, je publiai la chose dans le Journal des Débats ;