Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/482

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palais de l’Exposition des produits de l’industrie, pour le jour où l’Empereur devait y faire la distribution solennelle des récompenses. J’ai accepté cette rude tâche, mais en déclinant toute responsabilité pécuniaire. Un entrepreneur intelligent et hardi, M. Ber, s’est présenté. Il m’a traité généreusement, et cette fois ces concerts (car il y en a eu plusieurs après la cérémonie officielle) m’ont rapporté près de huit mille francs. J’avais placé, dans une galerie élevée derrière le trône, douze cents musiciens qu’on entendit fort peu. Mais le jour de la cérémonie, l’effet musical était de si mince importance, qu’au milieu du premier morceau (la cantate l’Impériale que j’avais écrite pour la circonstance) on vint m’interrompre et me forcer d’arrêter l’orchestre au moment le plus intéressant, parce que le prince avait son discours à prononcer et que la musique durait trop longtemps..... Le lendemain, le public payant était admis. On fit soixante-quinze mille francs de recette. Nous avions fait descendre l’orchestre qui, bien disposé cette fois dans la partie inférieure de la salle, produisit un excellent effet. Ce jour-là on n’interrompit pas la cantate, et je pus allumer le bouquet de mon feu d’artifice musical. J’avais fait venir de Bruxelles un mécanicien à moi connu, qui m’installa un métronome électrique à cinq branches. Par le simple mouvement d’un doigt de ma main gauche, tout en me servant du bâton conducteur avec la droite, je pus ainsi marquer la mesure à cinq points différents et fort distants les uns des autres, du vaste espace occupé par les exécutants. Cinq sous-chefs recevant mon mouvement par les fils électriques, le communiquaient aussitôt aux groupes dont la direction leur était confiée. L’ensemble fut merveilleux. Depuis lors, la plupart des théâtres lyriques ont adopté l’emploi du métronome électrique pour l’exécution des chœurs placés derrière la scène, et quand les maîtres de chant ne peuvent ni voir la mesure ni entendre l’orchestre. L’Opéra seul s’y était refusé ; mais quand j’y dirigeai les répétitions d’Alceste, j’obtins l’adoption de ce précieux instrument. Il y eut, à ces concerts du Palais de l’Industrie, de beaux effets produits surtout par les morceaux dont les harmonies étaient larges et les mouvements un peu lents. Les principaux, autant qu’il m’en souvienne, furent ceux du chœur d’Armide : Jamais, dans ces beaux lieux, du Tibi omnes de mon Te Deum, et de l’Apothéose de ma Symphonie funèbre et triomphale.

Quatre ou cinq ans après cette espèce de congrès musical, Jullien, dont j’ai déjà parlé à propos de sa direction de l’opéra anglais au théâtre de Drury-Lane, vint à Paris pour y donner une série de grands concerts dans le cirque des Champs-Élysées. Sa banqueroute l’empêchait de signer certains engagements ; je parvins heureusement à lui faire obtenir son concordat et par suite la liberté de contracter. Le pauvre homme en me voyant renoncer si aisément à ce qu’il me devait, fut pris, au tribunal du commerce, d’un accès d’attendrissement et m’embrassa en versant des flots de larmes. Mais à partir de ce moment, son