Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/487

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« — Votre rapsode qui tient à la main une lyre à quatre cordes, justifie bien, je le sais, les quatre notes que fait entendre la harpe dans l’orchestre. Vous avez voulu faire un peu d’archéologie.

— Eh bien ?

— Ah ! c’est dangereux, cela fera rire.

— En effet, c’est bien risible. Ha ! ha ! ha ! un tétra-corde, une lyre antique faisant quatre notes seulement ! ha ! ha ! ha !

— Vous avez un mot qui me fait peur dans votre prologue.

— Lequel ?

— Le mot triomphaux.

— Et pourquoi vous fait-il peur ? n’est-il pas le pluriel de triomphal, comme chevaux de cheval, originaux d’original, madrigaux de madrigal, municipaux de municipal ?

— Oui, mais c’est un mot qu’on n’a pas l’habitude d’entendre.

— Pardieu, s’il fallait dans un sujet épique n’employer que les mots en usage dans les guinguettes et les théâtres de vaudeville, les expressions prohibées seraient en grand nombre, et le style de l’œuvre serait réduit à une étrange pauvreté.

— Vous verrez, cela fera rire.

— Ha ! ha ! ha ! triomphaux ! en effet c’est fort drôle ! triomphaux ! c’est presque aussi bouffon que tarte à la crème de Molière. Ha ! ha ! ha !

— Il ne faut pas qu’Énée entre en scène avec un casque.

— Pourquoi ?

— Parce que Mangin, le marchand de crayons de nos places publiques, lui aussi, porte un casque ; un casque du moyen âge, il est vrai, mais enfin un casque et les titis de la quatrième galerie se mettront à rire et crieront : ohé ! c’est Mangin !

— Ah, oui, un héros troyen ne doit pas porter de casque, il ferait rire. Ha ! ha ! ha ! un casque ! ha ! ha ! Mangin !

— Voyons, voulez-vous me faire plaisir ?

— Qu’est-ce encore ?

— Supprimons Mercure, ses ailes aux talons et à la tête feront rire. On n’a jamais vu porter des ailes qu’aux épaules.

— Ah ! l’on a vu des êtres à figure humaine porter des ailes aux épaules ! je l’ignorais. Mais enfin je conçois que les ailes des talons feront rire ; ha ! ha ! ha ! et celles de la tête bien plus encore ; ha ! ha ! ha ! comme on ne rencontre pas souvent Mercure dans les rues de Paris, supprimons Mercure.

Comprend-on ce que ces craintes idiotes devaient me faire éprouver ? Je ne dis rien des idées musicales de Carvalho, qui, pour favoriser une mise en scène qu’il avait imaginée, voulait me faire prendre plus lentement ou plus vite le