Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/495

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qu’on entend quelquefois... en rêve. La Société des concerts a bien voulu, cette année encore, faire figurer dans l’un de ses programmes, la deuxième partie de ma trilogie sacrée l’Enfance du Christ ; ce fragment, admirablement rendu, a produit aussi un grand effet ; mais le public, sans que je sache pourquoi, n’a pas redemandé le Repos de la sainte famille, ainsi qu’il le fait toujours ailleurs, et mes deux siffleurs ont daigné se montrer ce jour-là et indigner toute la salle. La Société du Conservatoire, dirigée maintenant par un de mes amis, M. Georges Hainl, ne m’est plus hostile. Elle se propose d’exécuter de temps en temps des fragments de mes partitions. Je lui ai donné en toute propriété la masse entière de musique que je possédais, parties séparées d’orchestre et de chœurs, gravées et copiées, représentant ce qui est nécessaire pour l’exécution en grand de tous mes ouvrages, les opéras exceptés. Cette bibliothèque musicale, qui aura du prix plus tard, ne saurait être en meilleures mains.

Je n’aurai garde d’oublier ici le festival de Strasbourg où je fus invité à venir, il y a dix-huit mois, diriger l’exécution de l’Enfance du Christ. On avait construit une salle immense contenant six mille personnes. Il y avait cinq cents exécutants. Cet oratoire, écrit dans un style presque toujours tendre et doux, semblait devoir être peu entendu dans ce vaste local. À ma grande surprise, il y produisit une émotion profonde, telle était l’attention de l’auditoire, et le chœur mystique sans accompagnement de la fin «Ô mon âme !» provoqua même beaucoup de larmes. Oh ! je suis heureux quand je vois mes auditeurs pleurer !... Ce chœur est fort loin de produire autant d’effet à Paris, où il est d’ailleurs toujours mal exécuté.

J’apprends qu’on a entendu depuis un an plusieurs de mes partitions en Amérique, en Russie et en Allemagne ; tant mieux ! Décidément ma carrière musicale finirait par devenir charmante, si je vivais seulement cent quarante ans.

Je me suis remarié... je le devais... et au bout de huit ans de ce second mariage ma femme est morte subitement, foudroyée par une rupture du cœur. Quelque temps après son inhumation au grand cimetière Montmartre, mon excellent ami, Édouard Alexandre, le célèbre facteur d’orgues, dont la bonté pour moi s’est toujours montrée infatigable, trouvant sa tombe trop modeste, voulut absolument acheter pour moi et les miens un terrain à perpétuité, dont il me fit don. On y construisit un caveau et je dus assister à l’exhumation de ma femme et à son installation dans le caveau neuf. Cela fut d’une tristesse navrante, je souffris beaucoup. Mais qu’était-ce en comparaison de ce que le sort me réservait ? Il semble que j’aie dû connaître tout ce qu’il peut y avoir de plus affreux dans une cérémonie de ce genre. Peu après cette époque, je fus averti officiellement que le petit cimetière de Montmartre, où reposait ma première femme, Henriette Smithson, allait être détruit, et que j’eusse en