Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/500

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visite qui leur était faite, m’avait suivi. Elle m’aborde et me dit gracieusement :

« — Je vous en prie, monsieur, prenez la peine d’entrer.

— Merci, mademoiselle, j’accepte.»

Et me voilà dans la petite chambre, dont la fenêtre s’ouvre sur les profondeurs de la plaine, et d’où, quand j’avais douze ans, elle me montra d’un geste fier et ravi la poétique vallée. Tout y est encore dans la même état ; le salon-voisin est garni des mêmes meubles... Je mordais mon mouchoir à belles dents. La jeune personne me regardait d’un air presque effrayé.

« — Ne soyez pas surprise, mademoiselle, tous ces objets que je revois... c’est que je ne suis pas... revenu ici depuis... quarante-neuf ans !»

Et je m’enfuis éclatant en sanglots. Qu’ont dû penser ces dames d’une si étrange scène dont elles ne connaîtront jamais le sens.

Il se répète, va dire le lecteur. Ce n’est que trop vrai. Toujours des souvenirs, toujours des regrets, toujours une âme qui se cramponne au passé, toujours un pitoyable acharnement à retenir le présent qui s’enfuit, toujours une lutte inutile contre le temps, toujours la folie de vouloir réaliser l’impossible, toujours ce besoin furieux d’affections immenses ! Comment ne pas me répéter ? La mer se répète ; toutes ses vagues se ressemblent.

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Le même soir j’étais à Lyon. Ce fut une singulière nuit que celle que je passai sans dormir, en pensant à la visite projetée pour le lendemain. J’allais voir madame F******. Je décidai de me rendre chez elle à midi. En attendant cette heure si lente à venir et supposant fort possible qu’elle ne voulût pas d’abord me recevoir, j’écrivis la lettre suivante pour qu’elle la lût avant de connaître le nom de son visiteur :

«Madame,

»Je reviens encore de Meylan. Ce second pèlerinage aux lieux habités par les rêves de mon enfance a été plus douloureux que le premier, fait il y a seize ans et après lequel j’osai vous écrire à Vif où vous habitiez alors. J’ose davantage aujourd’hui, je vous demande de me recevoir. Je saurai me contraindre, ne craignez rien des élans d’un cœur révolté par l’étreinte d’une impitoyable réalité. Accordez-moi quelques instants, laissez-moi vous revoir, je vous en conjure.

»hector berlioz.

»23 septembre 1864.»