Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/502

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encore en bas âge... J’ai rempli de mon mieux mon rôle de mère de famille. (Silence.) Je suis bien touchée et bien reconnaissante, monsieur Berlioz, des sentiments que vous m’avez gardés.»

À ces mots bienveillants, je commençais à palpiter plus violemment. Je la regardai avec des yeux avides, reconstruisant en imagination sa beauté et sa jeunesse éclipsées ; et je lui dis enfin :

« — Donnez-moi votre main, madame.»

Elle me la tendit aussitôt, je la portai à mes lèvres et je crus sentir mon cœur se fondre et tous mes os frissonner.....

« — Dois-je espérer, ajoutai-je après un nouveau silence, que vous me permettrez de vous écrire quelquefois et de vous faire de loin en loin une visite ?

— Oh, sans doute ; mais je resterai peu de temps à Lyon. Je marie un de mes fils et je dois aller bientôt après son mariage, habiter Genève avec lui.»

N’osant prolonger davantage ma visite, je me levai. Elle m’accompagna jusqu’à sa porte où elle me dit encore :

« — Adieu, monsieur Berlioz, adieu, je suis profondément reconnaissante des sentiments que vous m’avez conservés.»

En m’inclinant devant elle je pris encore une fois sa main que je gardai quelque temps appuyée sur mon front, et j’eus la force de m’éloigner.

J’errais aux environs de sa demeure, tantôt me heurtant contre les arbres des Brotteaux, tantôt m’arrêtant à contempler, du haut du pont Morand, le cours tumultueux du Rhône, puis reprenant ma marche fiévreuse, sans savoir pourquoi j’allais d’un côté plutôt que de l’autre, quand je rencontrai M. Strakosch, le beau-frère de la célèbre cantatrice Adelina Patti.

« — C’est vous ! Quel hasard ! Adelina sera bien contente de vous voir ; elle est ici en représentations, on donne demain le Barbier de Séville, au Grand-Théâtre, voulez-vous une loge pour l’entendre ?

— Je vous remercie, je partirai probablement ce soir.

— Eh bien, venez au moins dîner avec nous aujourd’hui ; vous savez le plaisir que vous nous faites toujours en pareil cas.

— Je n’ose vous le promettre, cela dépendra... je ne suis pas bien portant... Où demeurez-vous ?

— Au Grand-Hôtel.

— Moi aussi. Eh bien, si je ne suis pas trop insociable ce soir, j’irai dîner avec vous ; mais ne m’attendez pas.»

Une idée m’était venue, un prétexte m’était donné pour retourner chez madame F******, pour la revoir encore. Je courus chez elle où j’appris qu’elle venait de sortir. Alors je chargeai sa femme de chambre de lui dire que j’aurais le jour suivant une loge pour le Grand-Théâtre, que si madame F****** voulait bien l’accepter et venir entendre mademoiselle Patti, je resterais à Lyon, espérant avoir l’honneur de l’accompagner à