Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/503

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cette représentation ; que dans le cas contraire je partirais le soir même. Que je la priais en conséquence de me faire parvenir sa réponse avant six heures.

Je rentre ; vingt minutes se passent. J’essaye de lire. J’avais un volume de voyages acheté à Grenoble. Je ne comprends pas un mot de mon livre. Je marche dans ma chambre. Je me jette sur mon lit. J’ouvre la fenêtre. Je descends. Je sors. Bientôt je me retrouve devant le numéro 56 de l’avenue de Noailles où elle demeurait. Mes jambes m’y avaient conduit machinalement. Je ne me contiens plus, je remonte chez elle. Je sonne. On ne m’ouvre pas. Une idée funeste vient aussitôt me marteler le cœur ; aurait-elle soupçonné que j’allais revenir et donné l’ordre de ne pas me recevoir ? Idée absurde qui me ronge cependant. Je reviens une heure après et j’envoie cette fois le petit garçon de la portière sonner chez madame F******. On n’ouvre pas non plus à l’enfant. Que devenir ? rester à monter la garde devant la maison ? c’est inconvenant, c’est ridicule. Malheur ! m’en aller ? où ? chez moi ? dans le Rhône ?... Elle ne veut peut-être pas m’éviter, on est réellement sorti !... Une heure après nouvelle ascension de son escalier. J’entends au-dessus de ma tête fermer sa porte et des voix de femmes parlant allemand. Je continue à monter ; je rencontre une dame inconnue qui descendait, puis une seconde, et enfin une troisième... C’était elle, tenant une lettre à la main.

« — Mon Dieu, monsieur Berlioz, vous venez chercher une réponse ?

— Oui, madame.

— Je vous avais écrit, et j’allais avec ces dames vous porter ce billet au Grand-Hôtel. Je ne pourrai malheureusement accepter demain votre aimable invitation. On m’attend à la campagne assez loin d’ici et je partirai à midi. Mille pardons de vous avoir instruit de cela si tard, mais je ne suis rentrée et n’ai connu votre offre que tout à l’heure.»

Comme elle faisait le geste de mettre la lettre dans sa poche :

« — Veuillez me la donner, m’écriai-je.

— Oh ! cela ne vaut pas la peine...

— Je vous en prie, vous me la destiniez.

— Eh bien, la voilà.»

Elle me donna la lettre et je vis son écriture pour la première fois.

« — Ainsi je ne vous reverrai pas ? lui dis-je dans la rue.

— Vous partez ce soir ?

— Oui, madame, adieu.

— Adieu, je vous souhaite un bon voyage.» Je lui serre la main et je la vois s’éloigner avec les deux dames allemandes. Alors, le croira-t-on, je devins presque joyeux ; je l’avais revue une seconde fois, je lui avais parlé de nouveau, j’avais encore pressé sa main, je tenais une lettre d’elle, lettre qu’elle