Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/505

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Que ta grâce se flétrisse, chaque désir de mon cœur ne s’enlacera pas moins, toujours verdoyant, autour de la ruine chérie.

Ce n’est pas pendant que tu possèdes la jeunesse et la beauté, quand tes joues n’ont pas encore été profanées par une larme, que peuvent être connues la ferveur et la foi d’une âme à laquelle le temps ne fera que te rendre plus chère. Non, le cœur qui vraiment aima jamais n’oublie, mais aime vraiment jusqu’à la fin. Comme la fleur du soleil tourne vers son dieu quand il se couche, le même regard dont elle a salué son lever.

Combien de fois, pendant cette triste nuit en chemin de fer, ne me suis-je pas répété : Imbécile ! pourquoi es-tu parti ? il fallait rester. Si j’étais resté je la reverrais encore demain matin. Qui m’obligeait à revenir à Paris ? Sans doute, mais la crainte d’être indiscret, ennuyeux, importun... Que faire à Lyon pendant ces longues heures où j’eusse été à quelques pas d’elle, sans la voir ? c’eût été une torture...

Après quelques jours d’angoisses, à Paris, je lui écrivis la lettre suivante. On verra par ces pages et celles qui lui succédèrent, comme aussi par ses réponses, le misérable état de mon esprit et le calme du sien. On devinera plus facilement encore ce que je dois éprouver aujourd’hui que je n’ai plus même la consolation de lui écrire. C’eût été terminer ma vie trop doucement, que de cultiver comme une romanesque amitié cet amour inutile. Non, je devais être broyé et déchiré jusqu’à la fin.


1re LETTRE


«Paris, 27 septembre 1864.

»Madame,

»Vous m’avez accueilli avec une bienveillance simple et digne dont bien peu de femmes eussent été capables en pareil cas. Soyez mille fois bénie ! Depuis que je vous ai quittée je souffre cruellement néanmoins. J’ai beau me