Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/60

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(qui racontera la gloire des cieux ?), il semble que cette partie du chœur, échauffée par l’enthousiasme de l’autre, s’élance à son tour pour chanter avec un redoublement d’exaltation les merveilles du firmament. Et puis, comme le rayonnement instrumental colore avec bonheur toute cette harmonie vocale ! Avec quelle puissance ces basses se meuvent sous ces dessins de violons qui scintillent dans les parties élevées de l’orchestre, comme des étoiles. Quelle stretta éblouissante, sur la pédale ! Certes ! voilà une fugue justifiée par le sens des paroles, digne de son objet et magnifiquement belle ! C’est l’œuvre d’un musicien dont l’inspiration a été là d’une élévation rare, et d’un artiste qui raisonnait son art ! Quant à ces fugues dont je parlais à Reicha, fugues de tavernes et de mauvais lieux, j’en pourrais citer un grand nombre, signées de maîtres bien supérieurs à Lesueur ; mais, en les écrivant pour obéir à l’usage, ces maîtres, quels qu’ils soient, n’en ont pas moins fait une abnégation honteuse de leur intelligence et commis un outrage impardonnable à l’expression musicale.

Reicha, avant de venir en France, avait été à Bonn le condisciple de Beethoven. Je ne crois pas qu’ils aient jamais eu l’un pour l’autre une bien vive sympathie, Reicha attachait un grand prix à ses connaissances en mathématiques. «C’est à leur étude, nous disait-il pendant une de ses leçons, que je dois d’être parvenu à me rendre complètement maître de mes idées : elle a dompté et refroidi mon imagination, qui auparavant m’entraînait follement, et, en la soumettant au raisonnement et à la réflexion, elle a doublé ses forces.» Je ne sais si cette idée de Reicha est aussi juste qu’il le croyait et si ses facultés musicales ont beaucoup gagné à l’étude des sciences exactes. Peut-être le goût des combinaisons abstraites et des jeux d’esprit en musique, le charme réel qu’il trouvait à résoudre certaines propositions épineuses qui ne servent guère qu’à détourner l’art de son chemin en lui faisant perdre de vue le but auquel il doit tendre incessamment, en furent-ils le résultat ; peut-être cet amour du calcul nuisit-il beaucoup, au contraire, au succès et à la valeur de ses œuvres, en leur faisant perdre en expression mélodique ou harmonique, en effet purement musical, ce qu’elles gagnaient en combinaisons ardues, en difficultés vaincues, en travaux curieux, faits pour l’œil plutôt que pour l’oreille. Au reste, Reicha paraissait aussi peu sensible à l’éloge qu’à la critique ; il ne semblait attacher de prix qu’aux succès des jeunes artistes dont l’éducation harmonique lui était confiée au Conservatoire, et il leur donnait ses leçons avec tout le soin et toute l’attention imaginables. Il avait fini par me témoigner de l’affection ; mais, dans le commencement de mes études, je m’aperçus que je l’incommodais à force de lui demander la raison de toutes les règles ; raison qu’en certains cas il ne pouvait me donner, puisque... elle n’existe pas. Ses quintettes d’instruments à vent ont joui d’une certaine vogue à Paris pendant plusieurs années. Ce sont des compositions