Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Oui, c’est très-joli.

Pendant cette discordante conversation, l’opéra était parvenu, après la scène de réconciliation, au beau trio : « Ô doux moments ! » ; la douceur pénétrante de cette simple mélodie me saisit à mon tour ; je commençai à pleurer, la tête cachée dans mes deux mains, comme un homme abîmé d’affliction. À peine le trio était-il achevé, que deux bras robustes m’enlèvent de dessus mon banc, en me serrant la poitrine à me la briser ; c’étaient ceux de l’inconnu qui, ne pouvant plus maîtriser son émotion, et ayant remarqué que de tous ceux qui l’entouraient j’étais le seul qui parût la partager, m’embrassait avec fureur, en criant d’une voix convulsive : — « Sacrrrrre-dieu ! monsieur, que c’est beau !  !  ! » Sans m’étonner le moins du monde, et la figure toute décomposée par les larmes, je lui réponds par cette interrogation :

— Êtes-vous musicien ?…

— Non, mais je sens la musique aussi vivement que qui que ce soit.

— Ma foi, c’est égal, donnez-moi votre main ; pardieu, monsieur, vous êtes un brave homme !

Là-dessus, parfaitement insensibles aux ricanements des spectateurs qui faisaient cercle autour de nous, comme à l’air ébahi de mon néophyte mangeur d’oranges, nous échangeons quelques mots à voix basse, je lui donne mon nom, il me confie le sien[1] et sa profession. C’était un ingénieur ! un mathématicien !  !  ! Où diable la sensibilité va-t-elle se nicher !


XVI


Apparition de Weber à l’Odéon. — Castilblaze. — Mozart. — Lachnith. — Les arrangeurs. — Despair and die !


Au milieu de cette période brûlante de mes études musicales, au plus fort de la fièvre causée par ma passion pour Gluck et Spontini, et par l’aversion que

  1. Il s’appelait Le Tessier. Je ne l’ai jamais revu.