Page:Bertrand, Gaspard de la nuit, 1920.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme au moyen-âge les rose-croix cherchèrent la pierre philosophale ; l’art, cette pierre philosophale du dix-neuvième siècle !

« Une question exerça d’abord ma scolastique. Je me demandai : Qu’est-ce que l’art ? — L’art est la science du poète. — Définition aussi limpide qu’un diamant de la plus belle eau.

« Mais quels sont les éléments de l’art ? Seconde question à laquelle j’hésitai pendant plusieurs mois de répondre. — Un soir qu’à la fumée d’une lampe je fossoyais le poudreux charnier d’un bouquiniste, j’y déterrai un petit livre en langue baroque et inintelligible, dont le titre s’armoriait d’un amphistère déroulant sur une banderole ces deux mots : Gott — Liebe. Quelques sous payèrent ce trésor. J’escaladai ma mansarde, et là, comme j’épelais curieusement le livre énigmatique, devant la fenêtre baignée d’un clair de lune, soudain il me sembla que le doigt de Dieu effleurait le clavier de l’orgue universel. Ainsi les phalènes bourdonnantes se dégagent du sein des fleurs qui pâment leurs lèvres aux baisers de la nuit. J’enjambai la fenêtre, et je regardai en bas. O surprise ! rêvais-je ? Une terrasse que je n’avais pas soupçonnée aux suaves émanations de ses orangers,