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LÉON TOLSTOÏ

craignais le manque de franchise propre à toute autobiographie. Mais maintenant il me semble avoir trouvé la forme sous laquelle je puis accéder à votre désir, en vous désignant le caractère principal des périodes de ma vie : de l’enfance, de la jeunesse, de l’âge mûr. Dès que je me serai arrangé pour être en état d’écrire, j’y consacrerai absolument quelques heures et tâcherai de le faire. »

Dans une lettre postérieure il m’écrit :

«… Je crains de vous avoir donné en vain l’espoir que j’écrirai pour vous mes souvenirs. J’ai déjà essayé d’y réfléchir et je me suis aperçu de la difficulté terrible qu’il y a pour éviter Charybde — la glorification de soi-même (en se taisant de tout ce qu’on y sent de mauvais) et Scylla — la franchise cynique sur toute la lâcheté de sa vie. Décrire avec sincérité, avec plus de sincérité même que Rousseau, toutes mes bassesses, mes sottises, mes débauches, ce serait un livre ou un article très séduisant. Des gens diraient : Voici un homme que plusieurs placent si haut, et voilà quel lâche il était ; alors, à nous, simples mortels, c’est Dieu lui-même qui ordonne d’être lâches. Sérieusement, quand j’ai commencé à me rappeler toute ma vie, quand j’en ai vu toute la sottise (précisément la sottise) et la lâcheté, j’ai pensé : Comment sont donc les autres, si moi, tant vanté par plusieurs, suis aussi misérable, aussi stupide ? Et cependant on pourrait encore l’expliquer par une habileté très grande de ma part. Je ne dis pas du tout cela pour