Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/292

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Cette prise de possession présenta, pendant quelques heures, un inconcevable mélange d’héroïsme et d’insouciance, de bouffonnerie et de grandeur. On vit des hommes du peuple passer sur leur chemise ensanglantée des robes à fleurs qui avaient serré la taille des princesses. Ils se promenaient dans cet accoutrement bizarre, raillant ainsi leur propre victoire, entre leur misère de la veille et leur misère du lendemain !

Mais le bruit s’étant répandu que les portes du Louvre et des Tuileries étaient ouvertes à tout le monde, des hommes de conditions diverses y accoururent. Dans ce pêle-mêle, beaucoup de vols élégants furent commis. Les objets qui ont disparu et n’ont pas été retrouvés, étaient en général des livres rares, des éditions de luxe, de chastes pantoufles, une foule de bagatelles charmantes, tout ce qui est de nature à tenter la cupidité des âmes délicates. A part cela, peu de dégâts eurent lieu. L’homme riche allait à l’homme pauvre, et lui disait : « Mon ami, tu as un fusil, veille sur ces armoires splendides. — C’est bien, répondait l’homme pauvre. » Et il se serait fait tuer plutôt que de manquer à cette consigne. Un jeune homme s’était emparé d’un chapeau royal que garnissaient des ornements d’un grand prix. Des gens du peuple l’aperçoivent et l’arrêtent : « Où allez-vous ainsi ? On ne vole pas. — C’est un souvenir que j’emporte. — A la bonne heure ; mais, dans ce cas, la valeur de l’objet importe peu. » En disant ces paroles, ils prennent le chapeau, le foulent aux pieds, et le rendent au jeune homme. Le peuple se surveilla donc parfai-