Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/192

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sur le vin et le tabac, seules jouissances du pauvre ; sur le sel, seul assaisonnement de ses mets ; que ces doctrines allaient être celles du régime nouveau, comme elles avaient été celles de la Restauration, celles de l’Empire ; que le peuple, en un mot, devait s’estimer très-heureux que la chambre, en considération des résistances toutes récentes éprouvées par le fisc, voulut bien supprimer le droit d’entrée sur les boissons dans les villes au-dessous de 4,000 âmes, et réduire le droit de la-vente en détail.

Ces choses n’intéressaient que le peuple : on en parla peu. La discussion n’avait pas même rempli une séance. La foule, si prompte à se passionner pour des chimères, allait reprendre sans murmure l’ancien fardeau.

Sur ces entrefaites, une grande nouvelle se répandit : Benjamin Constant venait de mourir.

Pour accompagner au séjour suprême la dépouille mortelle d’un homme qui avait bien mérité du libéralisme, la ville entière fut debout. Ministres, généraux, députés, pairs de France, jeunes gens des écoles, tous avaient pris le deuil, tous étaient là faisant honneur à un souvenir. Le peuple aussi était accouru à cette fête funéraire, comme il accourt à toutes les fêtes. Un escadron de cavalerie ouvrait la marche. Les six premières légions de la garde nationale précédaient le cercueil, que chargeaient des couronnes de lauriers ; les six dernières légions le suivaient. Des jeunes gens s’étaient attelés au corbillard. Autour marchaient, en silence et la tête nue, M. Delaberge, qui conduisait le convoi, et les dignitaires du royaume. Les crêpes flottant au bout des