Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/195

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rable vigueur de style. Mais il y avait chez lui, en dépit de son professorat de libéralisme, un grand fonds d’indifférence, et une mobilité sceptique, souvent trahie par des contradictions éclatantes. Un régime violent l’aurait annulé. Car, n’ayant ni l’ardeur qui avait rendu Danton populaire, ni les convictions qui avaient fait Robespierre tout puissant, il n’avait pas non plus cette déplorable sérénité que Barère puisait dans son aptitude à servir tous les partis. La place de Benjamin Constant était donc marquée dans le système représentatif, où il paraissait appelé à jouer toujours un rôle d’opposition, à cause de son goût pour la popularité et de ses sympathies pour la jeunesse.

Tel était l’homme à qui l’on venait de rendre des honneurs si extraordinaires que Mirabeau, mort dans toute sa gloire, n’en avait pas obtenu de plus grands. Du reste, comme à Mirabeau, on put lui reprocher de n’avoir pas su repousser jusqu’au bout les largesses de la cour. Mais il ne se vendit point son âme eût été incapable d’une action vile. Seulement, un penchant trop vif pour le jeu, joint à cette ignorance des affaires naturelle aux penseurs, l’avait précipité dans une détresse dont il dût subir toute l’amertume. Bien qu’il possédât à Paris plusieurs maisons et qu’il fut entouré des apparences de la richesse, tel était quelquefois son dénuement qu’un jour un ami le surprit déjeûnant avec un peu de pain durci qu’il trempait dans l’eau. Les détails de cette misère au sein de laquelle s’éteignit sa vieillesse, étaient si poignants, que nul de ses amis n’osa, quand il fut mort, en révéler le se-