Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

céder la place à MM. Bazard et Enfantin. Le saint-simonisme qui avait d’abord été une école, puis une famille, devenait un gouvernement, et un gouvernement destiné à remplacer l’autorité du catholicisme.

Dans tout cela, Bazard, qui s’était long-temps nourri des idées de M. de Maistre, ne voyait guère qu’une conclusion politique ; mais Enfantin ne visait pas à moins qu’à embrasser dans toute leur étendue les nombreux problèmes soulevés par la doctrine, en fondant une religion.

Cette diversité de vues dans les deux chefs de la doctrine, se compliquait d’une profonde opposition de caractère et d’organisation. L’âme de Bazard était mâle ; son esprit, -timide à force de réflexion, n’admettait volontiers que des idées nettes ; mêlé aux luttes politiques de la Restauration, il avait gardé de sa vie de carbonaro, des instincts révolutionnaires, des haines vigoureuses, le désir de prendre place dans les affaires, le goût des théories aisément applicables. Enfantin, au contraire, joignait à quelque chose de féminin dans les sentiments un esprit hardi et aventureux ; à la lenteur méthodique de Bazard, il opposait une impatiente, une inépuisable initiative ; mais ce que Bazard cherchait dans le maniement des ressources présentes, dans l’emploi des ressorts politiques, et ce qu’il aurait attendu, au besoin, de la force, Enfantin voulait l’obtenir par l’ascendant de l’audace intellectuelle et par les victoires pacifiques de la séduction. Le premier se sentait tribun, le second se faisait apôtre. Le premier se serait volontiers ren-