Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/136

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Bazard recula, frappé d’effroi. Il tenait aux traditions relatives à la constitution de la famille. Il avait une femme qu’il aimait tendrement, et ayant eu occasion de marier une de ses filles, il avait voulu, sans tenir compte des reproches d’Enfantin, que le mariage se fit dans les formes ordinaires. Il résista donc, et long-temps, à des provocations dont toute son âme était troublée. Mais, avec cette sérénité qui ne l’abandonna jamais, Enfantin poursuivait la réalisation de son dessein. Non content d’enlacer Bazard de ses sophismes dans des discussions que la plupart des saint-simoniens ignoraient, il s’étudia longuement à s’attacher des disciples fidèles. Sa figure radieuse, ses manières nobles, la connaissance qu’il avait du langage qu’il faut parler aux êtres sensibles et passionnés, tout cela l’entourait d’un véritable prestige. Avec un étonnant mélange de bonne foi et de ruse, il ruina insensiblement dans l’esprit de quelques-uns les croyances qu’il s’était promis de déraciner. Pour mieux leur prouver de quelles illusions ils étaient victimes, il sut par le seul effet de son ascendant pénétrer dans le secret des ménages ; il engagea des femmes à une confession publique, et se fit faire des confidences redoutables dont il usa de façon à prouver le mérite de ses théories, prêt à se justifier du choix des moyens par la sincérité du but.

Alors, il se passa dans la rue Monsigny, au milieu de cette société française devenue si sceptique et si railleuse, des scènes tellement extraordinaires que, pour en trouver de semblables, il faudrait interroger l’histoire des Anabaptistes. Ceux qui,