Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/358

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la grande préoccupation des hôtes de Ménilmontant. Ils voulaient, eux qui s’étaient livrés aux exercices les plus subtils de l’esprit, réhabiliter le travail du corps ; et cela revenait à professer dans la pratique ce qu’ils avaient reconnu dans la théorie : l’égalité de l’intelligence et de la chair, rapprochées et réunies par le sentiment ou la religion.

Après avoir parlé, le Père Enfantin, assisté d’un de ses disciples, revêtit l’habit apostolique. Puis, aidant à son tour celui qui l’avait assisté : « Ce gilet, dit-il, est le symbole dé la fraternité ; on ne peut le revêtir à moins d’être assisté par un de ses frères. S’il a l’inconvénient de rendre un aide indispensable, il a l’avantage de rappeler chaque fois au sentiment de l’association. » A l’exemple du Père, les apôtres de Ménilmontant s’empressèrent de revêtir l’habit. Quelques-uns, cependant, déclarèrent qu’ils ne se sentaient pas encore pour cela toute la force nécessaire. Au moment d’accomplir cet acte de renonciation au monde, à ses idées, à ses plaisirs, M. Moïse Retouret s’exprima ainsi en s’adressant au Père Enfantin : « Je vous ai dit un jour que je voyais en vous la majesté d’un empereur, et pas assez pour ma faiblesse la bonté d’un Messie. Vous m’apparaissiez formidable. Aujourd’hui j’ai senti profondément tout ce qu’il y a de tendresse et de douceur en vous : Père, je suis prêt. »

Que tout cela se soit produit au 19e siècle, en France, à Paris, là même où le soume de Voltaire avait passé, là où rien n’existait plus qui ne rappelât le règne du sarcasme triomphant et la longue domi-