Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/89

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l’autorité légale, lorsque Filhol s’élance le visage enflammé et le pistolet à la main, menaçant Lacombe de lui brûler la cervelle. Le moment était décisif ; mais les hommes qui aspiraient à diriger le mouvement politique n’avaient pour jouer ce rôle ni une consistance assez grande ni une intelligence assez élevée. Peu connus des ouvriers, ils parlaient un langage nouveau que sa violence seule aurait pu faire agréer de la foule, sans les préventions qu’on avait habilement répandues parmi elle, par l’intermédiaire même des chefs de l’insurrection. Rosset, Filhol et Dervieux échouèrent donc complétement dans leurs efforts. Ils se retirèrent la rage dans le cœur, et Dervieux, en quittant l’Hôtel-de-Ville, dit amèrement à la foule : « Malheureux ! vous ne voulez pas nous entendre : vous vous en repentirez mais il ne sera plus temps ! » Une journée avait suffi pour faire tomber le peuple vainqueur sous l’ascendant des meneurs de la bourgeoisie vaincue.

Jamais, du reste, la ville de Lyon n’avait été mieux gardée que dans cette étonnante journée du 25 novembre. La première pensée des ouvriers, maîtres de la ville, fut de se distribuer dans les quartiers les plus opulents pour y maintenir l’ordre et y faire respecter les propriétés. On vit des hommes en guenilles veiller, l’arme au bras et avec une activité inquiète, aux portes de l’hôtel de la Monnaie et de la recette-générale ; on vit de pauvres ouvriers faire sentinelle autour des maisons d’où les fabricants étaient sortis pour les charger. Par un raffinement de générosité fort remarquable, les