Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/207

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de plus naturel sans doute ; mais dans cette tendance à établir un vaste système de répression, il y eut abus, et le tort vint des ministres. Dominés par des ardeurs jalouses, M. Guizot et M. Molé se tenaient sans cesse en observation auprès du roi, se disputant ses préférences, épiant, sans se l’avouer peut-être à eux-mêmes, les premiers indices de sa volonté pour accaparer sa faveur, et, par une triste émulation de condescendance, exagérant sa propre pensée. Aussi s’étudièrent-ils comme à l’envi à nourrir les inquiétudes du maître et ses chagrins vigilants. Réprimer devint, pour ainsi dire, le mot d’ordre du Conseil, et ce fut à qui proposerait le plus promptement les mesures les plus sévères.

M. Molé conçut alors un projet tel, qu’on n’aurait pu l’exécuter qu’en temps de crise ou sous le régime du pouvoir absolu. Il s’agissait de faire accorder au ministère le droit d’éloigner arbitrairement de Paris quiconque paraîtrait un peu trop dangereux. C’était un véritable plagiat de la loi des suspects. M. Guizot ne goûta pas la proposition ; mais il craignit, s’il la combattait directement, que son rival n’en prît avantage dans le combat d’influence qu’ils se livraient. Il en consulta donc avec ses amis, et M. Duvergier de Hauranne se chargea d’une démarche auprès de M. Molé. L’entretien eut tout le succès désirable. M. Duvergier de Hauranne fit observer que la mesure était d’une portée incalculable ; qu’elle se liait à un système de coups d’État ; qu’une crise seule pouvait justifier l’emploi de pareils moyens qu’il ne convenait pas après tant d’efforts de montrer la France dans une situation révolu-