Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/258

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à peine la contenir. Les choses se passèrent néanmoins dans un ordre parfait tant que dura le spectacle. Mais au moment où l’on s’ébranlait pour le départ, on entendit, mêlés à des cris de rage, des gémissements lamentables. Sur quelques points de la place et dans le voisinage de certaines issues trop étroites, la multitude s’était subitement resserrée, entassée, amoncelée, renversée sur elle-même, et des hommes dans la force de l’âge, des femmes, des enfants, des vieillards, périssaient étounés misérablement. Qu’on juge de la consternation de Paris ! Quiconque n’avait pas autour de lui tous ceux qu’il aimait se crut frappé. Et, comme il arrive toujours, la renommée, en exagérant la catastrophe, agrandissait les alarmes. Aussi le gouvernement s’empressa-t-il de faire publier dans les journaux les noms des victimes, appendice funèbre au programme de tant de fêtes ! Le 15 juin, un bal offert à la famille royale devait avoir lieu à l’Hôtel-de-Ville. Qui le croirait ? parmi les représentants spéciaux de la cité, plusieurs furent d’avis que les malheurs du Champ-de-Mars n’étaient pas un motif suffisant pour suspendre les danses de la Cour. Mais à ce cruel raffinement de flatterie le duc d’Orléans répondit par une démarche d’une généreuse impétuosité. Entrant tout-à-coup dans la salle où le conseil municipal était rassemblé, il déclara d’un ton et avec un geste passionnés qu’il ne pouvait consentir à paraître en public avant que les cadavres eussent été reconnus et enterrés. Le bal et le banquet furent donc ajournés, ajournés seulement ! Des secours furent distribués, par ordre du prince royal, aux familles des