Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/358

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jusque dans ses entraînements, et qui, jetée sur la place publique, n’est qu’un homme passionné ayant de l’esprit ; les Anglais que le passage de leur reine attirait par myriades, formaient une masse compacte et serrée, mais dans laquelle chaque individu conservait sa physionomie, sa personnalité. Pas d’échanges intellectuels, pas de fusion entre les âmes. L’enthousiasme de tous ces hommes s’entassant l’un sur l’autre sans se confondre avait quelque chose de puissant mais de glacé ; une gravité morne perçait dans les transports de leur joie ; un commun respect pour la tradition monarchique formait leur unique lien, et leur émotion venait de la tête, non du cœur : là où des Français seraient allés voir passer une femme, les Anglais couraient voir passer un symbole.

Un indéfinissable bourdonnement salua l’apparition et le défilé des équipages. Ils étaient tous magnifiques, un seul excepté : celui de l’ambassadeur des États-unis, peuple libre. Mais à l’aspect d’une certaine voiture aux rebords d’argent, d’un fond bleu, ayant la forme d’une gondole, et montrant, ciselées avec art, des couronnes ducales qui surmontaient des lanternes, une explosion de hourrahs frénétiques ébranla tout-à-coup les airs. Cette voiture, la plus brillante de celles dont l’insolence des grands seigneurs du cortège pouvait se vanter, renfermait un soldat de fortune, le maréchal Soult. Qu’applaudissait-on dans lui ? Était-ce l’alliance du gouvernement des Tuileries, ou l’envoyé d’un roi qui devait être cher aux Anglais, ou le souvenir d’un grand homme abattu ? Napoléon, en succombant à