Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/70

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une haine presque personnelle, une haine dont chaque accident nouveau de la politique venait envenimer et creuser dans lui la blessure.

D’un autre côté, il se trouvait mal à l’aise dans son propre parti. Il s’effrayait d’avoir à conduire certains hommes dont l’obéissance même était impérieuse et violente ; il leur supposait une ardeur de représailles, des arrière-pensées de despotisme, dont sa modération prenait alarme. Au milieu des tentations de la crise prévue, sauraient-ils respecter la liberté individuelle ? consentiraient-ils à proclamer sur-le-champ le régime du droit commun ? Voilà ce qu’il se demandait sous l’empire d’une magnanime inquiétude. Eux cependant, ils étaient là, l’encourageant à l’audace, le pressant, le poussant, lui criant de marcher et de vaincre, sans s’inquiéter des limites futures. parce que, la victoire une fois remportée, l’essentiel est moins de la faire absoudre par les vaincus que de la compléter et de l’asseoir. C’est ce qu’il fut impossible à Armand Carrel de nier jusqu’au bout, surtout en présence des excès d’un pouvoir qui ne gouvernait que par la colère. Les pensées de l’homme d’État et les ressentiments du citoyen qu’on opprime combattaient donc en lui les inspirations du chevalier, et ce combat avait fini par le jeter dans une tristesse héroïque.

Il s’affligeait aussi du perpétuel refoulement de ses désirs. Il lui aurait fallu les tourments de la gloire, la vie des camps et il n’avait, pour employer son énergie, que le journalisme, genre de lutte dont les émotions, si vite effacées, ne rachetaient point à ses yeux les froids soucis et les fatigues vulgaires.