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HABEAS CORPUS. Le respect des Anglais pour la liberté individuelle, l’importance qu’ils y ont toujours attachée, et les garanties dont à toutes les époques de leur histoire ils ont cherché à l’entourer, sont des choses qui datent de fort loin. La Grande-Charte, section 29, s’exprime ainsi : « Nul ne pourra être arrêté, mis en prison, privé de son bien, de sa liberté ou de sa vie, qu’en vertu du libre et légitime jugement de ses pairs, et conformément à la loi. » Selon Hallam et d’autres érudits, ce ne serait là qu’une répétition des dispositions déjà inscrites dans les constitutions de Clarendon, qui les avaient elles-mêmes empruntées aux monuments saxons. Le règne d’Édouard III ne présente pas moins de quatre statuts sur cette matière. On les voit régler les formes de l’accusation, de l’instruction, du jugement, et assurer à chaque phase de la procédure la garantie de la présence de ses pairs à l’accusé.

Les faits, il est vrai, ont été plus d’une fois en désaccord avec la loi. Assez arbitraires de leur nature, les pouvoirs du moyen âge ne se sont soumis même en Angleterre au joug de la loi qu’autant qu’ils y ont été contraints et forcés. Pour être si souvent l’objet de la sollicitude du législateur, la liberté individuelle, devait en avoir besoin. Il fallait, ainsi que le remarque Hume, qu’elle fût très-peu respectée en pratique. Il n’en est pas moins très-honorable pour la nation de n’avoir jamais perdu de vue l’importance de cette liberté, d’en avoir toujours eu un sentiment très-vif et très-profond, et d’avoir été constamment sur la brèche pour la revendiquer et ajouter à ses garanties.

Si trop souvent, en Angleterre comme ailleurs, l’histoire nous présente sur ce point le spectacle du droit outragé, nous ne voyons pas, du moins, que l’esprit de violence et de tyrannie se soit jamais autorisé des dispositions formelles de la loi. C’est, au contraire, en violant la loi, en la foulant aux pieds, en déclarant qu’on était de par Dieu investi du pouvoir de s’en dispenser (dispensing power) que cet esprit a pu s’exercer. C’est à peine si, pour se justifier, il a pu s’autoriser de ses lacunes. À cet égard les magistrats du moyen âge ne le cédèrent pas aux législateurs en intelligence des vraies conditions de la liberté politique.

« Le roi, écrivait un magistrat de l’ère des Plantagenets, ne doit, même en cas de soupçon de trahison, user qu’avec la plus grande modération de son pouvoir de faire arrêter un homme. Car si cet homme est arrêté mal à propos, il n’a pas contre le roi l’action en dommages-intérêts qu’il aurait en pareil cas contre un simple particulier. »

Un autre magistrat de la même époque, le juge Markham, allait plus loin. Il affirmait devant le roi Henri VI, qu’à défaut d’action contre le souverain, il y en avait une contre l’agent qui mettait à exécution un ordre contraire à la loi. « Si le roi me commande d’arrêter un homme, disait-il, et si j’arrête cet homme à tort, cet homme aura une action contre moi, quand bien même son arrestation aurait eu lieu en présence du roi. » Sous Henri VII la création de la Chambre étoilée introduisit d’autres maximes et d’autres pratiques. Sous les Tudors et les deux premiers Stuarts, sous Charles Ier surtout, les attentats à la liberté individuelle furent nombreux, mais en 1641, un des premiers actes du Long-Parlement fut d’abolir la Chambre étoilée et d’inscrire dans la loi, en les élargissant et en les augmentant, les garanties que la liberté individuelle tenait depuis des siècles de la pratique. Ainsi lorsqu’une personne était arrêtée, sans que les faits motivant son arrestation fussent des délits ou des crimes évidents contre le droit commun, l’usage des amis et conseils de cette personne était d’invoquer l’autorité des magistrats des cours su-