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jusque-là l’Espagne, et qu’elle venait de céder à la France par le traité de Bâle (2 avril 1795). Il se fut volontiers arrangé du titre de gouverneur général à vie de la colonie de Saint-Domingue, comme le qualifiait la Constitution du 9 mai 1801, élaborée par une assemblée centrale qu’il avait formée lui-même de dix membres, trois mulâtres et sept blancs, et qu’il avait soumise ensuite à l’élection des députés des départements ; mais le gouvernement consulaire ne voulut pas sanctionner cet acte. C’est pourquoi, en 1801-1802, le premier consul envoya son beau-frère le général Leclerc avec 20,000 hommes reprendre Haïti et y rétablir les choses sur l’ancien pied. Leclerc, s’étant emparé par surprise de Toussaint-Louverture, l’expédia en France, où il mourut le 27 avril 1803. L’arrestation et la captivité de son chef exaspérèrent la population indigène, et elle se souleva sous les ordres de deux autres chefs, Pétion et Dessalines. Les Français perdirent alors les avantages qu’ils avaient gagnés et furent refoulés jusqu’au Cap. Rochambeau, successeur de Leclerc, qui avait péri dans l’expédition, fut forcé d’évacuer la partie française de Saint-Domingue à la fin de l’année 1803. Il ne resta plus que la partie cédée par l’Espagne et où les Français se maintenaient encore. Les insurgés vainqueurs proclament alors leur indépendance, et, comme s’ils se reconnaissaient vengeurs de l’ancienne population éteinte, ils rendent à l’Ile son premier nom d’Haïti. Mais ces esclaves qui veulent la liberté, la méconnaissent encore, et se rangent sous le sceptre de Dessalines, proclamé empereur sous le nom de Jacques Ier, tandis que Pétion, au sud, fonde un État républicain.

Après la mort de Dessalines, et celle d’un second esclave, roi aussi, Christophe, autrement dit Henri Ier, Boyer, successeur de Pétion, réunit les deux États et y ajoute enfin, en 1822, la partie orientale d’où les Français avaient été finalement expulsés. Trois ans après, en 1825, la France reconnut l’indépendance d’Haïti, en stipulant pour les anciens colons une indemnité de 150 millions que les débiteurs eux-mêmes les premiers reconnaissaient juste, en principe du moins. En même temps Haïti contracta en France un emprunt de 30 millions à 6 p. 100 d’intérêt.

Mais le chiffre de l’indemnité fut bientôt trouvé exorbitant par les Haïtiens ; ils se déclarèrent dans l’impuissance de payer jamais cette somme, et de longues discussions s’élevèrent à ce propos, terminées enfin en 1838 par un traité de commerce et d’amitié entre la France et la république d’Haïti (12 février à Haïti ; promulgué en France le 30 mai). Ce traité eut pour conséquence en même temps un règlement financier par lequel la dette, réduite à 60 millions et affranchie d’intérêt dut être payée de 1838 à 1867 inclusivement. Ce terme de trente ans fat partagé en six périodes de cinq années avec charge de verser chaque année, dans la 1re période : 1,500,000 fr. ; dans la 2e, 1,600,000 ; dans la 3e, 1,700,000 ; dans la 4e, 1,800,000 ; dans la 5e, 2,400,000 ; et dans la 6e, 3 millions. Lesdites sommes doivent être comptées dans les six premiers mois de chaque année, à Paris, en monnaie de France, à la Caisse des dépôts et consignations. Les 1,500,000 fr. de la première année (1838) furent emportés par le navire qui ramena les commissaires français, le baron de Lascases et le capitaine de frégate Baudin, devenu depuis amiral, et qui avait en outre à bord deux des commissaires haïtiens, MM. Séguy-Villevaleix et B. Ardouin, plus tard ministre résident d’Haïti en France, chargés tous deux de faire ce premier versement’. De plus l’intérêt de l’emprunt fut réduit de 6 p. 100 à 3 p. 100.

Ainsi le président Boyer eut l’honneur de mettre le sceau à l’indépendance de sa patrie, en terminant une affaire qui était comme la dernière marque de l’ancienne servitude d’Haïti, vis-à-vis de l’étranger. Malheureusement pour lui, accusé de s’être arrêté dans sa marche, d’être incapable désormais de toute initiative, il fut renversé du pouvoir et remplacé par le général Hérard-Riviére en 1843. Celui-ci fut renversé à son tour en 1844 par Guérier. Vinrent ensuite successivement au pouvoir, Pierrot en 1845, Riche en 1846 et Soulouque en 1847.

Sous Hérard, la partie orientale de l’île se sépara de nouveau et forma la république dominicaine avec Santanna pour président, lorsque ce dernier eut triomphé du général noir, Soulouque, envoyé contre lui et d’un prétendant dominicain nommé Ximénés. Ce nouvel État fut reconnu, en 1848, par la France et par l’Angleterre. Mais il n’a pas duré sous la forme républicaine ; en 1862 il s’est donné à l’Espagne, après avoir été profondément troublé par la mésintelligence de ses citoyens. Cette portion du pays est la plus éteudue, comprenant à elle seule les deux tiers de l’ancienne Saint-Domingue mais elle est la plus mal cultivée quoique le sol soit fertile, et la moins peuplée, puisqu’elle ne contient pas 100,000 habitants*. La république haïtienne à son tour a subi des vicissitudes. En 1849 son président Soulouque l’a transformée en empire et s’est fait sacrer le 18 avril 1852, sous le nom de Faustin Ier. Son règne n’a pas été long, mais assez cependant pour faire beaucoup de mal. En 1859, le 15 janvier, il a dû sortir d’Haïti, et le général Fabre-Geffard a proclamé de nouveau la république, et il en a été nommé président.

La république haïtienne a passé par neuf

1. Les cinq premières annuités furent payées ; mais après Boyer, le président Hérard ne put acquitter que la première année de la seconde série, et ie service de la dette fut interrompu de 1844 à 1848 inclusivement. Ces cinq années furent portées à l’arriéré par une convention du 15 mai 1849 entre Soulouque et le consul français M. Levasseur. Les versements ont été faits depuis régulièrement, et au mois d’octobre 1861 Haïti ne devait plus que 38,909,000 fr. Cette année le ministre résident d’Haïti, en versant l’annuité convenue, a payé de plus 800,000 fr. pour intérêts de l’emprunt et pour l’amortissement de 350 obligations de 1,000 fr., par la voie du tirage, ainsi que cela se fait tous les ans au mois de juin. 2. Voy. pour plus de détails les Études sur l’histoire d’Haïti de M. B. Ardouin, ministre résident d’Haïti. Paris, Dezobry, 1856. 11 vol. in-8o.