Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/132

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Afrique, et ne possédait de remarquable que son nom mythologique.

Retraité depuis dix ans dans un village d’Eure-et-Loir, il avait repris le service aussitôt après Sedan et s’était déjà signalé dans plusieurs affaires. Mais il n’était, en somme, rien de plus que le chef subalterne mentionné dans toutes les légendes militaires, dont le rôle banal et surnaturel consiste à faire entrer l’âme sanglotante ou furibonde de la patrie dans les brutes qu’il commande — et à mourir ensuite, s’il le faut, sans indignation ni gémissements, dans les pitoyables bras des Capitaines invisibles…

Le départ eut lieu vers une heure du matin, à la lueur passablement sinistre d’une lune déclinante sur le point de disparaître. Le froid était vif et le silence profond dans la campagne. Toutes les précautions avaient été prises pour que le défilé ne troublât pas le léger sommeil des lutins de l’Inquiétude.

La distance était faible, d’ailleurs, six kilomètres à peine. On était sûr de tomber sur les Allemands vers deux heures. On les trouverait endormis pour la plupart et on les éveillerait gentiment à coups de baïonnettes.

Proserpine et le lieutenant marchaient les premiers, immédiatement suivis des cinq Polonais, choisissant avec soin les endroits les plus ombreux, les contrebas et les plis du sol pour y faire passer leur monde, préoccupés avant tout de n’être pas aperçus.