Page:Bornier - Œuvres choisies, 1913.djvu/30

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12 LA FILLE DE ROLAND Poussé par ce désir qu’en vain l’âme comprime, J’avais soif de revoir le théâtre du crime, Ces monts pyrénéens et ce fatal vallon Où Roland a péri, livré par Ganelon ! Je les reconnus trop, ces pics tristes et sombres, Ces torrents, ces pins noirs aux gigantesques ombres; C’était bien Roncevaux 1 Seulement, par endroits L’herbe verte était plus épaisse qu’autrefois l C’est qu’ils ont lutté là, lutté sans espérance, Pour le grand Empereur et pour la douce France, Les superbes héros, mes nobles compagnons, Dont j’ose à peine encor me rappeler les noms ; C’est que de leur sang pur cette terre est trempée, C’est que si je cherchais du bout de mon épée, En remuant le sol, sans doute je pourrais Retrouver un ami dans ce que j’y verrais ! C’est qu’on découvre encor, sous les roches voisines, Des cadavres percés des flèches sarrazines !... RADBERT Calmez-vous, Amaury ! AMAURY Moi ? Je suis Ganelon, Ganelon le Judas, le traître, le félon ! Je restai là trois jours ; au fond de ma pensée Je revoyais mon crime et ma honte passée, Ma haine pour Roland, ma jalouse fureur, Nos défis échangés aux yeux de l’Empereur, Les douze pairs livrés aux Sarrazins d’Espagne Par moi comte et baron, parent de Charlemagne ! Il me semblait entendre, au milieu des rochers, Nos preux tomber surpris par les coups des archers, Olivier et Turpin, mouvantes citadelles, Terribles, se ruer parmi les infidèles, Et Roland, dans la mort sublime et triomphant, Faisant trembler les monts du son de l’oliphant ! — J’étais là seul, mon âme en mon crime absorbée, Frissonnant, à genoux, la poitrine courbée ;