Page:Botrel - Contes du lit-clos, 1912.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

… Et, le lendemain matin, et le soir,
Et les jours suivants encore, la Louve
Près de ma maison s’en revint s’asseoir
Pour me contempler par-delà la douve ;

Et ses Yeux, vraiment, ses terribles Yeux
Se faisaient plus doux que ceux d’une agnelle ;
Et sa rude Voix, pour me plaire mieux,
Se faisait la Voix d’une tourterelle !

Comme ensorcelé, maintenant, hagard,
J’aimais à revoir la Louve, à l’entendre :
Je reconnaissais son tendre Regard,
Je reconnaissais aussi sa Voix tendre ;

C’était le Regard couleur fleur de lin
Et c’était la Voix musicale et lente
De ma douce amie au Regard câlin,
De ma douce amie à la Voix troublante !

Et je haïssais la bête… et l’aimais
Pour ses grands Yeux clairs et pour sa Voix lasse :
Je pris mon fusil vingt fois, sans jamais
Trouer les grands Yeux qui demandaient grâce !

Enfin, je la vis paraître un matin
Plus humble, plus maigre… et si désolée
Que je descendis jusqu’en mon jardin
Et m’en vins vers elle à travers l’allée ;

Et je lui disais de ces mots très doux
Qui viennent du cœur plus que de la bouche :
Ses Yeux nullement ne devinrent fous,
Sa Voix nullement ne devint farouche ;