Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
LA VITALITÉ DU RÉGIME

tchandâla qui revenait de la fontaine et l’avertissait charitablement de sa caste impure, Ânanda, le serviteur de Çâkyamouni, avait répondu : « Je ne te demande, ma sœur, ni ta caste, ni ta famille : je te demande de l’eau si tu peux m’en donner ! » Et Çâkyamouni avait reçu parmi ses fidèles la Tchandâla étonnée[1]. On fera donc profession, dans les couvents bouddhistes, de ne fermer la porte à personne pour cause d’indignité sociale, on ne tiendra compte pour la hiérarchie qui s’y établit que de l’ancienneté, du mérite personnel, ou de l’âge, ou de la science acquise. Et ainsi au sein du couvent on peut dire que les castes se perdent et se fondent. « De même, ô disciples, que les grandes rivières, toutes tant qu’elles sont, la Gangâ, la Yamounâ, l’Aciavatî, la Sarabhohî, la Maû, lorsqu’elles atteignent le grand Océan, perdent leur ancien nom et leur ancienne race, et ne portent plus qu’un seul nom, celui du grand Océan, ainsi, ô disciples, les membres de ces quatre castes, Nobles et Brahmanes, Vaiçyas et Cûdras, lorsque, conformément à la règle et à la doctrine qu’a prêchée le Parfait, ils disent adieu à leur maison pour mener une vie errante, perdent leur ancien nom et leur ancienne race et ne portent plus qu’un seul nom, celui d’ascètes sectateurs du fils des Çâkyas »[2].

Les théories ne manquaient pas d’ailleurs, illustrées ou non par les légendes, pour justifier cette pratique et rétorquer directement les prétentions brahmaniques. Triganku, roi tchândâla, fait valoir contre elles la même sorte d’arguments qu’on retrouve en Europe dans les hymnes égalitaires des paysans soulevés.

« Il n’y a pas, entre un Brahmane et un homme qui soit d’une autre caste, la différence qui existe entre la pierre, l’or, les ténèbres et la lumière. Le Brahmane n’est sorti

  1. V. Burnouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, p. 183 sqq.
  2. V. Oldenberg. Le Bouddha, sa vie, sa doctrine, sa communauté (Trad. Foucher, Paris, F. Alcan, 1908), p. 154.