Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
LA VITALITÉ DU RÉGIME

le ciel les rayons lumineux produits par le sourire de Sakya, ces paroles, dit un Soutra, s’y font entendre : « Cela est passager, cela est misère, cela est vide, cela est privé de substance. » – « Ô religieux, lisons-nous ailleurs, tous les composés sont périssables. Ils ne sont pas durables. On ne peut s’y reposer avec confiance. Leur condition est le changement : tellement qu’il ne convient pas de concevoir rien de ce qui est un composé et qu’il ne convient pas de s’y plaire ! »

En un mot, de la spéculation hindoue le bouddhisme retient et renforce précisément tout ce qui peut détourner de la vie. Non sans doute qu’il faille représenter la loi bouddhique, ainsi qu’on l’a fait longtemps, comme une urne funèbre, un vase inépuisable de désespoir. Il y a une joie propre au bouddhisme qui illumine les visages des fidèles comme des prêtres, et dont le rayonnement a frappé tous les pèlerins européens. Les plus récents commentateurs de la Doctrine nous font observer qu’on en fausserait le caractère en la présentant comme une philosophie du néant[1]. Peut-être le Nirvâna où elle conduit serait-il, comme le pensait Max Müller, le plus haut achèvement de l’existence bien plutôt que sa suppression, la pleine lumière et non les pleines ténèbres[2]. En tout cas la perspective de cette paix finale pacifie dès ici-bas les sages en les sauvegardant de la furie ascétique, et communique, à ceux dont les sens sont en repos, « une parfaite joie que les dieux mêmes envient »[3]. Il n’en reste pas moins que cette joie supérieure, avant-goût de la libération, on ne la trouve qu’en se détournant du monde, en refusant d’y prêter la moindre attention, d’y appliquer un seul effort : en ce

  1. Un des reproches que M. Oldenberg (Aus Indien und Iran) adresse à l'Essai de Taine sur le Bouddhisme, c’est que le pessimisme bouddhique y est poussé au noir.
  2. Cf. Oldenberg, le Bouddha, p. 267. Barth, The religions of India, p.114. Lehmann, dans le Manuel d’histoire des religions de Chantepie de la Saussaye, trad. fr., p. 387.
  3. Cf. Kern, Manual of indian Buddhism, Strasbourg, Trübner, 1896. p.12.