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LA VITALITÉ DU RÉGIME

être rendue responsable de l’extension de ces pratiques. C’est seulement au sein des groupes supérieurs, chez ceux qui peuvent se permettre ou qui se croient obligés de refuser leurs filles aux autres, qu’elle restreint le nombre des fiancés possibles. Des mesures restrictives ou préventives comme l’interdiction du remariage des veuves ou les mariages d’enfants ne se présentent donc plus comme des nécessités vitales pour les groupes inférieurs, ceux dont les filles peuvent être recherchées par les jeunes hommes d’un rang plus élevé aussi bien que par ceux de leur rang. Mais l’instinct d’imitation n’est-il pas aussi puissant que l’instinct de conservation des groupes ? N’est-ce pas une loi que l’inférieur, alors même qu’elles ne lui seraient pas directement utiles, endosse en quelque sorte les modes du supérieur ? Le prestige des castes deux-fois-nées, le désir de se rapprocher d’elles en les imitant expliqueraient donc qu’on voie chaque jour, sur le fleuve de la vie hindoue, les pratiques en question multiplier et élargir leurs cercles d’influences. En fait, on pourrait citer plus d’une caste assez bas placée qui gagna des rangs dans l’opinion grâce à son empressement à marier ses enfants, ou surtout grâce à sa sévérité à interdire le remariage de ses veuves. De toutes les ascensions sociales qui s’opèrent sous nos yeux, il n’en est pas de moins contestées que celles qui prennent ainsi pour échelons le respect des traditions, le souci de la pureté, l’orthodoxie.

De pareils « progrès » prouvent suffisamment que le progrès à l’occidentale est loin d’avoir d’ores et déjà triomphé de la tradition hindoue. Contrairement aux prévisions ordinaires, celle-ci pourrait bien à son tour utiliser, pour la sauvegarde de ses tendances natives, les instruments mêmes que l’administration étrangère met à sa