Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/218

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laissée par sa littérature de prêtres-spéculateurs. Il ne faut pas que ce rideau tendu nous empêche de toucher la réalité, plus diverse et plus mouvante.

Ne nous arrêtons pas aux recueils des chants liturgiques ou de discussions philosophiques, ou de textes juridiques ; essayons de saisir la vie active à travers l'épopée : M. Hopkins 411 nous fera observer qu'on y sent passer un souffle de sensualité, de brutalité, de matérialité qui nous entraîne bien loin des rêveries transcendantes où l'on nous montrait l'Inde absorbée. La philoso­phie qui donne le ton ici, c'est, dit-il, une philosophie de soldats bien plus qu'une philosophie de prêtres. Et c'est à la vie de guerrier germain que nous font songer le plus souvent les tableaux de l'épopée hindoue. Ce qui est vrai de l'action militaire ne le serait-il pas de l'action économique ?

De fait, la réputation séculaire de l'Inde, patrie des trésors fabuleux et des merveilles inimitables, n'est-elle pas la preuve suffisante que l'activité de ses habitants est loin d'avoir été complètement endormie par les prestiges de ses prêtres ? De tout temps, les peuples de l'Occident ont regardé vers l'Inde comme vers la source de toute richesse. Les conquêtes mêmes qu'elle a dû subir – depuis les Perses et les Grecs jusqu'aux Français et aux Anglais – n'étaient-elles pas autant d'hommages rendus à cette réputation ? « L'Inde, qu'on se représente communément absorbée dans son rêve merveilleux et détachée du reste du monde, est en réalité la proie banale où se rue la cupidité de l'univers fasciné » 412. Vivait-elle, d'ailleurs, en temps normal, dans l'isole­ment dédaigneux qu'on imagine ? Aucun pays, semble-t-il, n'a entretenu avec les