Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/225

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victime des plus vifs remords. Les Jâtakas rapportent l'histoire d'un Brahmane qui fut si frappé d'apprendre qu'il avait absorbé un aliment goûté par un Tchândâla qu'après avoir rejeté cette nourriture horrible, il se laissa mourir de faim 425.

Mais il ne faudrait pas croire que les scrupules de cet ordre fussent le monopole de la caste brahmanique. On les retrouve parfois chez les castes les plus basses. C'est que, pour hiérarchisé que soit le monde hindou, une répul­sion mutuelle en sépare les éléments. Même les plus généralement méprisés s'isolent avec jalousie de ceux qui sont universellement reconnus comme supérieurs. « Il y a dans la caste, disait justement à ce propos Max Müller 426, un principe de réciprocité. N'allez pas croire que le riche peut visiter le pauvre, ni le pauvre le riche, ni qu'un Brahmane peut inviter le Çûdra à dîner et ne pas en être invité à son tour. Personne dans l'Inde n'est humilié de sa caste et le plus infime paria est aussi fier de la sienne et aussi désireux de la conserver que le Brahmane du plus haut rang. Les Tunas (une classe de Çûdras) considèrent leurs maisons comme souillées et jettent leurs ustensiles de cuisine si un Brahmane entre chez eux. » En fait, pendant la famine de 1874, plutôt que d'accepter des aliments de la main des Brahmanes, des Santals se laissaient mourir de faim à la porte des fourneaux de charité.

Mais ce n'est pas seulement la qualité des commensaux qui importe aux fidèles de la tradition hindoue : c'est la qualité des aliments eux-mêmes. On ne peut pas manger avec n'importe qui, on ne peut pas non plus manger n'importe quoi. Certains aliments sont tabous soit pour l'ensemble de la population, soit plus particulièrement pour telle classe. On sait dans combien de pays il arrive que