Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/246

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tablit son atelier chez qui le mande. Son fourneau est un vase de terre cassé, un tuyau de fer lui sert de soufflet. Une pince, un marteau, une lime et une petite enclume, voilà ses seuls outils. Il fait sur-le-champ ses creusets avec de la terre glaise, mêlée de poudre de charbon et de bouse de vache qui donnent aux creusets de la solidité et les empêchent de fondre au feu. » C'est avec ce pauvre mobilier industriel que son art, pourtant, multiplie les petits chefs-d'œuvre. Entre l'industrie et l'art, il n'y a jamais ici, à vrai dire, la distance à laquelle notre civilisation mécaniste nous a habitués. Dans le moindre produit, on reconnaît une « tradi­tion cristallisée » mise en œuvre par une habileté manuelle incomparable 465.

Par quels inconvénients se rachète une perfection ainsi obtenue, on le devine. L'instinct de routine va s'aggraver ici du respect accordé aux tradi­tions. « On a beau leur montrer 466 (aux charpentiers hindous) la manière la plus prompte et la plus aisée de scier le bois : ils aiment mieux s'en tenir aux procédés anciens qu'ils ont reçus de leurs pères que d'en adopter de plus commodes qui sont nouveaux pour eux. » C'est que, sous un régime qui laisse à tous les actes de la vie, et en particulier aux actes professionnels, une coloration religieuse, toute innovation apparaît fatalement comme une sorte de péché contre les ancêtres. Alors même qu'on en sentirait le besoin, on ne se sent pas le droit d'innover.

D'où une espèce d'ankylose sociale qui n'a pas seulement l'inconvénient d'empêcher, à l'intérieur de chaque caste, le rendement du travail d'augmenter par le perfectionnement des techniques, mais encore celui d'entraver l'institu­tion de professions nouvelles, où les membres des professions classiques, devenus trop nombreux, pourraient