Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pas plus que toute la vie ne se ramène à la religion. En étudiant le système juridique et l'organisation écono­mique, nous avons pu constater que la réalité hindoue déborde de toutes parts le cadre brahmanique. La masse n'est pas restée aussi « hypnotisée » qu'on l'a dit. Des caravanes bariolées sillonnaient l’immense péninsule. Des cours y déployaient leur luxe à l'envi. D'autres intérêts que les intérêts spirituels préoccupaient donc les Hindous. D'autres plaisirs les attiraient que ceux de la spéculation théologique. L'Inde n'ignorera en conséquence ni les contes populaires ni les poésies mondaines : elle aura une littérature de caravansérail, pourrait-on dire, et une littérature de cour. Un tempérament s'y révèle, nous rappelle-t-on, très différent du tempérament métaphysique qu'on prête à la nation hindoue : sensualité ardente et ironie sceptique, frivolité et gaillardise, une grande puissance de fantaisie unie à une grande finesse d'observation 505.

Il n'en reste pas moins que, pour une grande part, les monuments littéraires laissés par la civilisation hindoue sont bâtis sur des pierres dressées par la religion. Combien d'entre eux ne reposent-ils pas, directement ou indirec­tement, sur le Véda ? La première poésie, ici, est une invocation aux dieux, comme la première prose est une explication de la liturgie. Invocations et incantations, formules rituelles et recettes magiques, c'est presque tout le contenu des quatre Védas proprement dits. Les œuvres ultérieures ne se présentent guère que comme des commentaires de cette révélation initiale 506. Les Brâhmanas, avec les Aranyakas qui les accompagnent, prétendent éclairer le sens du culte. Les Upanishads ressemblent plutôt à des traités de philoso­phie : la spéculation s'y montre plus libre. Il n'est pas difficile cependant de prouver qu'elle se