Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/272

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même temps la Force du sacrifice, que le Brahmane se plaît à suivre par sa dialectique dans les diverses formes qu'elle revêt.

Il va sans dire que cette dialectique opère souvent dans l'obscurité, mais il est permis de penser que l'obscurité ici serait plutôt recherchée qu'évitée. Nous nous trouvons en face d'une littérature d'initiés : on y sent, au lieu du désir d'être accessible à tous, la préoccupation de réserver un monopole à une race d'élite. Dans toutes les littératures sans doute, on pourrait retrouver à l'origine le goût des énigmes ; mais ici le jeu de mots sibyllins apparaît comme une tactique constante 509.

Que d'ailleurs la doctrine soit finalement inconsistante et reste, pour ainsi dire, à l'état fluide, ce n'est pas non plus pour nous étonner. Nous savons que les Brahmanes n'ont pas de conciles, et par conséquent pas de dogmes à proprement parler. Aucun organe ici n'est qualifié pour formuler et imposer une théologie arrêtée. Tous les Brahmanes sont également aptes à commenter la révélation du Véda. Il devait donc se former des écoles diverses. Des con­troverses s'y instituent. On y raffine sur les notions, mais aucune autorité n'intervient pour clore les débats. De ces libres discussions entre prêtres-nés, les Brâhmanas nous apportent sans doute l'écho : ils ne sont après tout que des « collections anonymes d'opinions individuelles, d'aphorismes indépendants et de libres propos greffés sur l'explication des rites » 510. Si une certaine unité de tendance s'y découvre, elle s'explique par l'identité de situation des penseurs, qui engendre elle-même l'analogie des préoccupations : un trésor commun des clans sacerdotaux s'est ainsi peu à peu constitué. Dans les Brâhmanas nous ne sentons pas l'œuvre d'une Église, mais du moins celle d'une caste sacerdotale, ardente à