Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/277

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tous, les prêtres poètes s'atta­cheront à raffiner les formules pour éblouir les seuls connaisseurs 519.

Ainsi s'expliquent sans doute les devinettes, les jeux de mots, les identifi­cations paradoxales dont le Rig-Véda déjà fourmille. On sent quelque chose de plus, ici, que le plaisir que prennent tous les primitifs à se proposer des énigmes. Les équivoques merveilleuses sont entassées systématiquement. On utilise exprès, pour désigner les objets, les analogies les plus lointaines. Le désir est visible d'obscurcir plus que d'éclaircir, et de cacher au moment même où l'on montre.

Le Véda fera d'ailleurs lui-même la théorie de ce procédé : « Les dieux sont amis du mystère », « ce qui est clairement exprimé leur déplaît ». « Les choses sacrées ne doivent être dévoilées qu'à demi. » N'était-ce pas, en vertu de cette espèce d'anthropomorphisme professionnel dont on relève plus d'un signe, concevoir les dieux sur le type du prêtre 520 ? Le prêtre se complaît volontiers aux formules énigmatiques : leur obscurité est pour son monopole comme une garantie de plus. Et c'est pourquoi, loin de simplifier les choses à plaisir – comme le faisaient les premiers traducteurs, entêtés de la naïveté du Véda – il faut respecter les complications bizarres qui s'y rencontrent. Sans doute étaient-elles plus ou moins voulues : l'ésotérisme servait la cause de ces familles sacerdotales, en train de se muer en castes.

En tout cas faut-il supposer, pour expliquer cette végétation d'hyperboles et de superlatifs, une atmosphère de serre chaude, où certaines qualités s'atro­phient, pendant que d'autres s'y développent avec exubérance, un « milieu de surenchère mystique et verbale » où des virtuoses prennent plaisir à se surpasser par leurs raffinements. «